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L’institut du prêt à penser

Quiconque suivant les débats publics aura nécessairement vu un institut présenter une étude supportant une conclusion avec un fort penchant idéologique. Dernièrement, c’est l’Institut Fraser qui présentait une étude affirmant que les taxes et impôts faisaient fuir les gens. Du même acabit, l’Institut économique de Montréal (IEDM), ou encore l’Institut de Recherche Socio-Économique (IRIS). Bientôt, ce sera le cas de l’institut sur la souveraineté (pardon, l’autodétermination des peuples) qui se joindra au groupe. Et il y en a d’autres!

Ces organisations ont cinq traits communs. D’abord, elles ont un nom et un descriptif qui laisse croire à des intérêts désincarnés. Elles ont toutes les nom « Institut », ou « Institut de recherche » et leur descriptif signale toujours qu’ils sont « apartisans » et « sans buts lucratifs ». Le vocable d’institut laisse entendre, comme l’institut de cardiologie ou encore l’institut du cancer de Montréal, qu’elles ont une vocation de recherche et d’avancement de la science. Ensuite, elles ont une mission essentiellement axée sur les relations publiques. Elles entretiennent des blogues, elles publient des « notes de recherche » (et non des recherches complètes) ou encore des « notes économiques » dont le contenu est pré-digéré et facile à comprendre pour monsieur madame tout le monde.  Très peu de leurs travaux, si ce n’est pas la totalité, sont publiés dans des revues scientifiques ou revues par les pairs. De plus, elles défendent des conclusions en lien avec une idéologie politique. L’IEDM et le Fraser Institute défendent des politiques publiques qui visent à réduire l’intervention du gouvernement (baisses d’impôts, abolition de règlementation, etc.) alors que l’IRIS défend des conclusions plus favorables aux pauvres et aux travailleurs. Finalement, elles élaborent des argumentaires qui visent à soutenir leurs conclusions. Leur méthodologie argumentative est construite pour soutenir leur version des faits. Il y a peu de nuances quant aux explications alternatives qui pourraient être en cause. Même, des méthodologies plus robustes et crédibles, pourtant accessibles avec les mêmes données et éléments probants, seront laissées de côté si elles ne soutiennent pas les conclusions visées.

Ces organisations nuisent à nos institutions politiques. D’abord, elles valorisent la dimension idéologique d’une proposition au détriment de la valeur scientifique de cette dernière.  C’est une caractéristique propre aux médias que de vouloir chercher à balancer les idées sur un sujet pour éviter de biaiser un potentiel reportage sur une nouvelle. On présente la gauche contre la droite et il revient alors au lecteur/spectateur de choisir quelle idée lui convient le plus sur ce plan. De par l’existence de ces instituts avec leur « prêt à penser », on favorise le choix sur la base de l’idéologie.

Or, cette approche évacue complètement l’absence de crédibilité scientifique des propositions qui sont avancées.  On ne mesure pas si les conclusions sont soutenues convenablement et on ne contraste pas les résultats avec des approches alternatives. Ce sont ces exercices de recherche et de nuance qui finissent par dégager une forme de crédibilité sur une politique par rapport à une autre… et par rapport au contexte!

Ce rejet de la validation scientifique conforte l’idée qu’en matière d’analyse de politiques publiques, toutes les opinions se valent. Et en particulier, que les opinions tranchées valent davantage que celles qui sont nuancées. Elles favorisent les bigots et la rhétorique argumentative au détriment du débat éclairé. De par leur approche, ces organisations sont à inscrire dans la même lignée que le populisme et l’extrémisme. En somme, leur méthode de fonctionnement s’attaquent à la civilité, à la science et au débat rationnel.

Ces organisations privent aussi les gouvernements de fonds publics. Elles sont enregistrées comme des organisations caritatives et en conséquence, les dons versés à ces organismes sont déductibles d’impôts. Ainsi, en 2014, l’IEDM a privé le fédéral et le provincial d’une assiette fiscale de pas moins d’un demi million de dollars. Les donateurs de ses organisations demeurent privés, mais des travaux effectués sur l’Institut Fraser suggèrent des gens intéressés à influencer le débat public dans le sens qui est soutenu par l’idéologie. En somme, ces instituts seraient financés par des gens qui veulent que les politiques publiques soutenant une certaine idéologie (gauche, droite, etc.) soit une réalité et le public leur accorde une réduction fiscale pour le faire.

L’examen des critères de l’Agence de Revenu du Canada pour être inscrit comme organisme caritatif est révélateur. Il faut soit être a) un organisme de bienfaisance (soulagement de la pauvreté, etc.), b) un organisme faisant la promotion de l’éducation, c) l’avancement de la religion ou d) d’autres fins caritatives. Les activités politiques doivent aussi être non-partisanes et subordonnées aux activités principales. Il n’est donc pas surprenant de voir l’IEDM et l’Institut Fraser se présenter, autant pour des fins fiscales que pour des prétentions de débat public, avant tout comme des instituts non-partisans visant l’avancement des connaissances, la recherche et l’éducation. L’IRIS fait bande à part et ne semble pas être enregistrée pour des fins d’exemptions fiscales (probablement en lien avec son idéologie).

Ce cadeau d’impôt aux donateurs de ces organismes semble, au jugement des différents code fiscaux internationaux, une aberration plus qu’une norme. Le régime fiscal américain distingue les organismes qui font de l’éducation de celles qui font de la propagande ou la promotion d’un penchant idéologique. Ces dernières n’ont pas droit à des exemptions fiscales.  C’est la même chose au Royaume-Uni : on distingue éducation de propagande. Dans le reste de l’Europe, on semble aussi faire la distinction (implicite) entre institut de recherche (au sens universitaire) et institut à vocation de propagande.

Bien sûr, quiconque a droit de s’exprimer sur une idée politique, que ce soit de manière intelligente ou non. Mais on dépasse le cadre de la liberté d’expression quand on se prive de deniers publics, lorsqu’on donne des incitatifs fiscaux, pour financer la propagande d’une idéologie. La question que je me pose: qu’attend le Canada pour retirer ce crédit d’impôt à ces instituts?