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Coup d’État

Ce billet n’a rien à voir avec la chanson de Karkwa.

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La Turquie n’en est pas à ses premières expériences avec les coups d’états. Atatürk, père de la Turquie moderne, aura donné le ton dans les années 30 avec sa révolution militaire et démocrate. Depuis, la culture constitutionnelle confère informellement à l’armée la garde de l’état laïque. Si ce genre de manœuvre semble impensable au Canada,  l’armée est vue en Turquie comme gardienne d’un pays démocratique, libéral et laïc.

Or, pas plus tard que la semaine dernière, l’armée tentait un nouveau coup d’état contre les institutions du gouvernement, visant à la fois le Premier ministre et ses ministres, mais aussi l’opposition au parlement.

Deux caractéristiques émanent de cette tentative. D’une part, elle fut ratée. Erdogan est revenu à Ankara à peine quelques jours après la tentative. D’autre part, elle était remarquable par son absence de coordination tactique. C’est un fait surprenant, sachant qu’elle émane de l’armée, ce qui a mené des journalistes et analystes spéculer que cette tentative n’était qu’un coup d’état factice.

Certainement, le Premier Ministre exploite les conséquences de cette attaque si bien que la question se pose. En peu de temps le Premier ministre aura utilisé la crise pour justifier:

1- la suspension (et lynchage sur la place publique) des militaires impliqués;

2- la démotion émettre ou mise à garde de plus de 6 000 juges ou membres de la branche judiciaire du gouvernement;

3- le congédiement des doyens (et professeurs) d’universités publiques;

4- l’instauration d’un État d’urgence (d’au moins) trois mois.

Le trait commun des institutions visées (juges et universitaires) est qu’elles sont laïques. Erdogan est aussi plus proche des fondamentalistes religieux que de ceux défendant une vision séculaire du pays. Il s’attaque donc, dans le contexte aux institutions laïques.

Cette attaque signale aussi un abandon du projet d’adhésion à l’Union Européenne. L’Union Européenne se fait pressante sur les libertés fondamentales en Turquie. La riposte d’Erdogan montre plutôt une volonté d’aller dans une direction opposée. Le Premier ministre turc est avant tout intéressé par l’Europe pour son marché. Il s’est montré plusieurs fois sceptique à « l’Europe des valeurs » et parlait plutôt de l’Union Européenne comme le « club des chrétiens ».

En somme, Erdogan abandonne le projet Européen et met la table pour un régime plus fondamentaliste. Cette trajectoire politique est atroce.

Cela dit, la thèse du coup d’état organisé par Erdogan lui-même tient mal la route. Le déroulement de la crise suggère qu’il bénéficie certainement du crime, mais il est suffisamment intelligent pour affronter l’armée que si cette dernière est faible. S’il avait orchestré un faux coup d’État, ces gestes post-crise pourraient bien lui valoir une vraie action militaire! En somme, ses actions laissent croire qu’il juge l’armée en position de faiblesse.

D’autre part, coordonner un coup d’état est nécessairement clandestin et désordonné. Une action de grande envergure – que ce soit un colloque, un congrès ou une manifestation – a son lot d’imprévus. Imaginez maintenant que l’organisation de l’évènement se fasse par bouche à oreille, sans savoir si tous les organisateurs seront présents … ou des alliés. En somme, un manque de coordination tactique, même pour l’armée, n’est pas improbable dans le contexte.

En somme, ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas de bon augure. Un retour possible au fondamentalisme, un effritement des libertés fondamentales, la censure du pouvoir judiciaire et de la liberté académique. En plus, le fondamentalisme religieux va de pair avec des inégalités hommes-femmes accrues. Où sont les militaires quand on a besoin d’eux?