Le premier tome d’Ismahane (aux Enfants rouges) avait été récompensé par le Prix du jury œcuménique au dernier festival d’Angoulême.
Il narre le parcours d’une jeune fille au destin chamboulé par la guerre de 1975, au Liban. De ses cinq ans, à l’éclosion du conflit, en passant par son adolescence, puis son arrivée à Paris, où elle vivra une idylle interdite avec son cousin Malek.
Le tome 2, qui est arrivé récemment en librairie, reprend où le lecteur avait laissé les personnages créés par Christophe Girard et Sasha. Le père d’Ismahane est mort au Liban et la jeune femme doit revenir, aux côtés de son amant. Peu après l’enterrement, avec maladresse, les deux amoureux avouent leur amour et les gestes qui l’ont accompagné en France. C’est le déshonneur. Fou de rage, un des frères d’Ismahane, Ali, tue Malek d’une balle en plein cœur. La jeune femme fuit, pour ne pas subir le même sort. Anéantie, elle cherche une façon de laver la réputation de son clan…
Voilà les grandes lignes du parcours qui nous est présenté, au fil de ces deux tomes.
Un récit qui amène à une conclusion qui, pour son héroïne, semble inéluctable : un sacrifice, le sien.Impossible de parler de ce récit sans en mentionner la conclusion. Malheureusement. Car, d’une façon, les deux tomes d’Ismahane cherchent à répondre, on le comprendra, à une question, difficile, pénible, cruelle : comment et pourquoi une jeune fille devient-elle l’auteure d’un attentat suicide?
Le récit, scénarisé par l’ex-journaliste Sasha, mélange fiction et réalité. Son inspiration? Peut-être cet attentat, commis le 9 avril 1985 par une jeune femme de 18 ans, à Jézzine, dans le sud du Liban. La première femme à commettre un attentat-suicide. Ou tous les autres, commis par la suite. « Que ce soit le PKK kurde, les LTTE tamouls, ou bien les groupes palestiniens des Brigades des martyrs Al-Aqsa, du Hamas ou du Djihad islamique, toutes ces formations ont compté des femmes kamikazes dans leur rang », nous rappelle-t-il, en exergue du récit. Et pas de motivation unique. Ou de profil unique. Derrière chacun de ces gestes aussi tragiques qu’irréparables se cachent une multitude d’histoires. Et peut-être que celle d’Ismahane pourrait en être une. « Les attentats-suicides sont aussi parfois l’œuvre de femmes coupables d’avoir enfreint les traditions, qui voient dans ce geste une façon se de racheter »…
Réaliste, Ismahane? Peut-être que oui. Peut-être que non. On ne peut que l’évaluer selon nos expérience, notre contexte social, culturel, notre connaissance de cet univers, du poids de ses traditions…
Cela dit, le récit semble s’inscrire dans la lignée de ces bandes dessinées qui explorent, chacune à leur façon, les réalités des guerres et conflits qui affligent le Moyen-Orient. De l’Iran de Persépolis ou Zahra’s Paradise à l’Israël de Joe Sacco ou Guy Delisle… en passant maintenant par le Liban de Sasha et Christophe Girard. Ainsi que tous les autres volumes ici omis. Un ouvrage de plus, donc, pour les lecteurs, qui permet d’appréhender, d’explorer, de réfléchir, la situation sociale et politique de cette région.
Que dire du récit? Il est efficace. Rapide. Parfois un peu trop. Il va droit au but, vers sa conclusion. Un scénario qui fonctionne, sans toutefois être parfait. Appuyé par un dessin qui, dans des tons sépia, installe une ambiance aussi solennelle que grave.
Et, au final, il y a la discussion. Celle engendrée par le récit. Celle qui vous mènera peut-être vers d’autres sources d’information. Pour évaluer, certes, la réalité de ce qui nous a été présenté dans la BD. Mais aussi pour comprendre… Pour répondre à cette question, à la fois point de départ et conclusion de ce diptyque : « Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à commettre un tel geste? »