BloguesLa vie en BD

Lectures récentes (2)

Cécile & Christophe Lemoine
Clara
(Le Lombard)

De la surprise. C’est ce que j’ai ressenti initialement après être tombé sur le Clara de Cécile et Christophe Lemoine. Pourquoi? À cause de son sujet : le deuil. Et aussi parce que c’est un livre jeunesse.

Même s’il en existe (assurément) d’autres, on dirait que mon esprit n’avait pas fait l’adéquation entre le sujet et la forme. Je ne sais trop pourquoi, d’ailleurs. D’un côté, on a toujours parlé de la BD comme d’un outil narratif fort. Et de l’autre, la BD adulte a donné de très beaux ouvrages autour du deuil en 2011 et 2012 (par exemple : Sans même se dire au revoir, de Kentaro Ueno, ou David, les femmes et la mort de Judith Vaninstael). Donc, d’emblé, un A pour l’effort, c’est clair.

Dans Clara, dès les premières pages, la jeune fille ressent que tout n’est pas parfait. Mais son âge camoufle la dure réalité, pour un temps, du moins. Jusqu’à ce que l’inéluctable frappe. Puis viennent les questions, incontournables. Qu’est-ce que la mort? Où est partie maman? Reviendra-t-elle? Le scénario de Christophe Lemoine attaque de front ces interrogations, parfois avec force et vivacité, parfois de manière malheureusement un peu floue. Le récit symbolique d’une poupée enlevée viendra mettre en évidence, de manière peut-être un peu maladroite, l’acceptation de la mort. Une tournure fantastique peut-être nécessaire, cela dit, considérant le public cible.

En résulte donc un album réussi sur un sujet difficile. On retiendra tout particulièrement l’honnêteté de l’ouvrage de Lemoine et Cécile : rien n’est caché, les étapes y sont, sans trop d’explication, avec ce qu’il faut de latitude pour que les parents puissent amorcer un dialogue avec leur rejeton. Pour qui veut faire comprendre la mort à un enfant, Clara peut s’avérer un outil fort utile.

 

Philippe Delaby et Jean Dufaux
Complaintes des Landes perdus – Les Chevaliers du Pardon 3 : La fée Sanctus
(Dargaud)

Considérant le succès de Murena, l’autre série du duo Delaby et Dufaux, on peut s’imaginer que les attentes étaient grandes lorsqu’ils ont repris l’univers des Complaintes des Landes perdues développé il y a déjà longtemps par Dufaux aux côtés de Rosinksky. Contrairement aux ancrages historiques forts de Murena, rien de factuel dans ces Chevaliers du Pardon : nous sommes à plein dans le fantastique et le mythique, au cœur de contrées médiévales inventées.

À l’image de bien d’autres séries du genre, difficile de résumer l’action en quelques mots. Le récit est truffé de références à saveur mythologique – d’ailleurs, l’un des succès de cette série est que l’on ne s’y perd pas, au fil de la nomenclature. Le nouvel opus nous place ne quête de la fée Sanctus, dont la collaboration assurera un avantage net aux forces du Bien dans leur éternel conflit contre le Mal. Mais, cachée sous des traits qui ne sont pas les siens, elle sera difficile à retracer…

Le récit, certes linéaire, reste efficace. Peut-être parce que, à l’image du tome 2, les auteurs placent côte à côte les quêtes parallèles des avatars du Bien (le chevalier Seamus) et du Mal (le Guinea Lord), en route vers leur inévitable confrontation. Peut-être aussi grâce au dessin, très beau, de Delaby. Le rythme de l’ensemble est relevé, voire un peu trop : par moments, les épisodes se succèdent à vitesse grand V alors qu’on aurait aimé les voir un peu plus développés…

Un tome 3 à l’égal des deux premiers, qui saura plaire aux amateurs du genre.

 

Franz Kafka, Daniel Casanave & Robert Cara
L’Amérique
(6 pieds sous terre)

Avec L’Amérique, c’est avant tout une Amérique rêvée et fantasmée que nous invitait à découvrir Franz Kafka. Cette Amérique, elle est immense, impossible, exagérée. Elle a aussi un séduisant côté absurde et improbable. Et aussi (voire surtout, puisqu’on parle ici de la BD) une adaptation qui, pour celui qui n’a pas lu le texte d’origine, semble réussit. Peut-être parce que rien ne semble y manquer. Le récit, d’abord publié en trois tomes, nous arrive ici en intégrale chez 6 pieds sous terre.

En racontant les tribulations de ce jeune homme,  Karl Rossman, exilé en l’Amérique, l’adaptation qu’en propose Daniel Casanave et Robert Cara réussit à s’affranchir du côté « littéraire » du récit, pour le rendre à proprement parler, visuel. Les dessins, en noir et blanc, au trait visible, parfois imparfait, viennent apporter à la dynamique et au ton du récit. Le tout appuyé par des dialogues bien rythmés.

On y suit donc Rossman d’escale en escale, sous la protection d’un oncle sénateur, aux côtés de vagabonds aventuriers, groom dans un hôtel, entre autres.

J’ose imaginer, donc, que les amateurs de Kafka ne seront pas dépaysés avec cette adaptation de L’Amérique. Et, parallèlement, si une telle idée vous paraît curieuse, et que vous n’avez pas eu l’occasion de jeter un coup d’œil, jusqu’à présent, à cette adaptation de Casanave et Cara, il me semble que la parution de cette intégrale me paraît être un moment propice pour le faire!