Il est temps pour moi de me lancer en mode rattrapage.
Sur mon bureau, les livres sont légion. Et, parmi ceux-ci, il en est quelques-uns qu’il me semble incontournable de mentionner sur le blogue.
Allons-y avec un premier : Mon ami Dahmer, de Derf Backderf, chez Ça et là.
Un livre trouble et honnête.
Y est raconté l’adolescence du tristement célèbre tueur en série Jeffrey Dahmer, à travers les yeux d’un de ses camarades de classe, Derf Backderf.
La scène s’ouvre à Richfield, en Ohio. Au début des années 1970. L’adolescence. Typique pour les uns, moins pour les autres. Dahmer, à l’époque, est un enfant solitaire. Son comportement, un peu étrange. Mais, sans plus aux yeux de ceux qui le côtoient. Il n’a pas réellement d’amis, mais il se rapprochera tout de même du groupe d’amis de Backderf : ceux-ci sont intrigués par le comportement à la fois drôle et déroutant de Dahmer. Pour un temps. Jusqu’à ce que le malaise finisse par s’installer. Jusqu’à ce que le mal de vivre de Dahmer s’impose, tel une force à la fois tranquille et dévastatrice.
La mort a sa place dans ces pages. C’est elle, justement, cette force dévastatrice qui consume Dahmer. Dans ses cauchemars autant que dans ses pulsions. L’adolescent se raccroche à ce qui l’entoure pour ne pas y sombrer. Mais, au final, des amis, il n’en a pas. Pas vraiment. Sa famille, elle, se déchire sous ses yeux. Puis disparais, peu à peu. Pour laisser le jeune homme seul, avec ses pensées sombres qui finiront, on le sait, par l’envahir entièrement. Et, plus tard, en 1991, par faire de lui « le cannibale de Milwaukee », qui fut condamné à 157 ans de prison pour une série de 19 meurtres.
Dahmer, figure tragique, victime de son destin? Non.
Ce n’est pas là le souhait de Backderf. Et ce n’est pas là l’effet rendu par la lecture de Mon ami Dahmer. Le regard reste neutre, dans la mesure du possible. S’en tenir aux faits. Aux impressions. Aux souvenirs. Et éviter de déresponsabiliser le tueur. « Le parti pris de ce livre est de présenter Dahmer comme une figure tragique, mais ce uniquement jusqu’à son premier meurtre. Après ce jour fatidique de juin 1978, la seule tragédie, c’est que Dahmer n’ait pas eu le courage de mettre fin à ses jours », indique d’ailleurs l’auteur en postface. Un égoïste et un lâche. C’est ce qu’il est devenu. C’est ce qu’il a été. « Certes on pourrait excuser ces défauts-là chez un adolescent de 15 ans, mais ils étaient aussi au centre de sa vie adulte », ajoute-t-il.
L’ouvrage est documenté. Souvenirs. Rencontres avec ceux qui l’ont aussi côtoyé, à l’époque. Relevés des interrogatoires du tueur. Journaux. Livres biographiques.
Question de laisser le moins possible au hasard, à l’interprétation.
Question de permettre, à nous, lecteurs, d’obtenir un portrait fiable, entier, de ces années.
Question, peut-être, que l’on se questionne sur ce qui fait un monstre. Sur ce qui fait que quelqu’un peut, un jour, choisir consciemment ou inconsciemment de s’abandonner entièrement à des pulsions qu’il sait destructrice et, au bout du compte, faire le choix d’en devenir un.
Et aussi se demander si ce qui paraît, aujourd’hui, peut-être plus évident, palpable, aurait pu l’être à l’époque, alors que le monstre n’en était qu’à sa genèse. « J’ai tendance à croire que Dahmer n’aurait pas fini en monstre, que tous ces gens ne seraient pas morts dans des conditions aussi atroces si seulement les adultes autour de lui n’avaient pas été aussi indifférents et aussi étrangers à son cas », souligne d’ailleurs Backderf en préface.
Dessin. Scénario. Tout est au service d’un récit. Tout fonctionne dans Mon ami Dahmer. Tout y est. Tout au service d’une histoire à la fois tragique et pathétique, au service d’un protagoniste pour lequel on ne peut qu’être exempt de sympathie sachant les atrocités qu’il commettra, au service d’un récit qui va bien au-delà du voyeurisme et du sensationnalisme.
Le récit est à la fois facile et difficile, passionnant et dérangeant. C’est, impulsants, à une véritable descente aux Enfers qu’on assiste.
À l’histoire d’un jeune homme qui fera, un jour, le choix de s’abandonner à ses démons.