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Angoulême 2014: mon journal de festivalier

Quelques jours sont passés.

Le décalage horaire est, je l’espère, derrière moi.

Je suis de retour de mon (bref) passage à Angoulême, à l’occasion de la 41e édition de son Festival international de la bande dessinée. Un événement incontournable dans la planète BD, qui réunit auteurs, lecteurs, éditeurs et plus au fil de affiche_angoulemecinq jours bien chargés… Cela, dans les méandres et dédales des rues d’Angoulême, ville de quelque 42 000 âmes, dont la population en vient presque à tripler au fil de l’événement : c’est dire à quel point c’est couru. Lits, chambres d’hôtes ou d’hôtels sont particulièrement prisés fin janvier… En fait, on conseille à celui ou celle qui souhaitera aller faire une petite virée vers Angoulême au fil du festival de réserver sa place un an à l’avance. Rien de moins.

Incontournable, je disais?

Évidemment, tout le monde y est. Ou presque.

Tous les grands joueurs y sont. Sauf Dupuis, qui boycotte Angoulême depuis quelques années déjà.

Et les autres joueurs également – les indépendants. Grands et petits. En passant par l’éditeur québécois La Pastèque qui y avait son kiosque. (D’ailleurs, l’éditeur avait également son lot de titres en nomination dans les catégories « Polar » et « Jeunesse », en plus de la sélection officielle : une fois le verdict tombé, pas de récompenses toutefois. Cela dit : l’éditeur québécois ressortira à tout le moins d’Angoulême avec une « Mention spéciale » du jury Polar pour son Lartigues et Prévert de Benjamin Adam, reconnaissant ainsi la grande qualité de l’ouvrage.)

 

Les prix

Tiens, commençons par la fin…

En ce qui me concerne, mes quelques jours à Angoulême s’étaient presque terminés de façon douce-amère. Dans l’attente de laissez-passer de presse qui ne sauraient peut-être jamais venus afin d’assister à la cérémonie de clôture, à la remise des prix. Attente et découragement… Si ce n’est que ma curiosité ne serait pas satisfaite. Mais bon : si j’ai écrit plus haut « presque », c’est bien parce que finalement, j’ai réussi à y mettre les pieds, courtoisie de quelques âmes charitables, rencontrées au fil des soirées à saveur de fête et de réseautage qui jalonnent l’événement. Un laissez-passer en trop chemine vers mes mains et j’entre dans la salle.

La cérémonie commencée, un détail saute aux yeux : la mise en scène, approximative. Hésitations. Problèmes techniques. Et plus…

On s’attendrait d’un festival de l’envergure d’Angoulême que le tout soit rodé, professionnel au plus haut point, mais non. L’organisation a un côté « bon enfant », un aspect spontané… « Et encore, me dit-on, tu aurais dû voir il y a quelques années! »

Les prix seront donc remis au travers d’un hommage maladroit (mais parfaitement méritoire) à Fred, décédé en 2013.

Petit survol?

Fauve d’or du meilleur album donné au Come Prima d’Alfred. Prix du public accordé, pour sa part, au Mauvais genre de Chloé Cruchaudet. Prix spécial du jury octroyé à La Propriété de Rutu Modan. Prix Patrimoine à Cowboy Henk de Herr alfred-come-prima-carreSeele et Kamagurka. Prix série à Fuzz and Pluck de Ted Stearn. Prix Révélation ex aequo à My Friend Dahmer de Derf Backderf et Le Livre de Léviathan de Peter Blegvad. Prix Jeunesse pour Les Carnets de Cerise tome 2, de Joris Chamblain.

Prix Polar à Ma révérence de Rodguen et Wilfrid Lupano. À la remise du prix, l’animateur (en voix off) demande aux auteurs comment ils ont réussi à faire un polar en évitant les clichés liés à ce genre… La réponse? Essentiellement celle-ci : « Lors de l’annonce de la sélection Polar, j’étais plutôt outré de voir mon livre s’y trouver. Je ne pensais pas que Ma révérence était un polar… Évidemment, maintenant, ici, j’ai changé d’avis : Ma révérence est clairement un polar! Alors… Comment éviter les clichés du polar? J’imagine que pour nous, la clé aura été de ne pas savoir qu’on était en train d’en écrire un… »

Et le Grand prix?

Vous l’avez peut-être vu passer au fil des médias : Bill Watterson, l’auteur de Calvin and Hobbes.

Non sans une certaine controverse préalable, cela dit… Mais avant la remise cette fois, plutôt qu’après (comparativement à l’an dernier). Une histoire de changement des règles du vote, de volonté de l’organisation d’ouvrir à l’ensemble des professionnels de la BD la possibilité de voter (plutôt que de limiter la chose à l’Académie des Grand prix, un désir non comblé de l’Académie d’être consulté sur la question… Si on résume très rapidement le tout.

Et un Grand prix qui amènera, j’imagine, son lot de préoccupation pour l’organisation : Bill Watterson n’ayant pas été vu depuis 1995, ayant choisi de terminer son œuvre à ce moment, estimant qu’il n’avait, en tant qu’auteur, plus rien à dire. S’étant retiré de la vie publique. Et refusant toute production dérivée de sa bande dessinée… Au bout du fil, sur scène, son éditeur américain – l’un des seuls à lui parler encore directement, qui assurait le public que Bill Watterson serait fort heureux et appréciatif de l’honneur qui lui était rendu lorsqu’il l’en informerait. « Will he come to Angoulême next year? » demande son éditrice française, au micro et au téléphone… « I will try to talk him into it » répond l’éditeur américain. Peut-être sans trop de conviction. Qui sait…

 

Les expositions

Angouleme_TardiSi les cérémonies sont un brin désorganisées (ou, pour rester sympathique, disons « spontanées »), il n’en est certes pas de même pour les expositions du festival.

Bien au contraire.

Le défi, dans le contexte d’une exposition de planches de BD (originales ou non), c’est de rendre le tout dynamique, surprenant. Et, de toute évidence, à Angoulême, cela passe par la scénographie.

Au Vaisseau Moebius, on offrait une exposition sur Tardi et sa relation avec la Grande Guerre, celle de 1914-1918 à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages. La mise en scène est efficace : dans une section, on recréera une tranchée, dans une autre, un cimetière militaire. Question de contextualiser les planches, de leur apporter une gravitas additionnelle.

Même chose au Musée de la bande dessinée, où l’on trouve une exposition sur le rêve, avec notamment plusieurs planches de Little Nemo’s Adventures in Slumberland ou encore des ouvrages de David B. Ici, l’espace central est occupé par des lits cauchemardesques, éclairés dramatiquement de lumières bleutées… Certains trouvés comme si son occupant avait été happé vers l’intérieur du matelas. Un autre, plus loin, aux pattes surdimensionnées, comme s’il pouvait désormais marcher à la façon d’une araignée.

Ou encore cette exposition sur Mafalda offerte au centre-ville. Côté décors, on offre le globe terrestre ou la table à manger familiale… À laquelle est également jouxtée une classe, autour de laquelle sont fixées des planches augmentées, question Agouleme_Mafaldade permettre au plus petit de colorier les images créées par Quino.

Cela, au fil d’une exposition qui cherche d’abord et avant tout à mettre de l’avant le contexte politique lié à la création (et à la fin) de Mafalda. Dès le départ, on rappelle d’ailleurs au visiteur que c’est la récupération politique du personnage, qui aura sonné le glas de la BD : « Un autre de mes dessins m’aura valu encore plus de problèmes : une illustration de Mafalda pointant à la matraque d’un policier ce tenant à côté d’elle s’exclamant : « Voilà la matraque pour écrabouiller les idéologies »… Les services de police ont rapidement détourné ce poster en remplaçant Mafalda par le fils d’épicier Manolito, qui s’exclamait à la place « Tu vois Mafalda, grâce  ces matraques nous pouvons aller à l’école en toute tranquillité ». J’ai quitté l’Argentine en 1976, car plusieurs de nos amis avaient disparu ou étaient morts. J’ai quant à moi arrêté Mafalda en 1973, car le niveau de violence était devenu tel qu’il me fallait soit trahir le personnage et ne plus évoquer ses idées, soit prendre tellement de risques que ce n’était pas pensable. »

Au fil des tableaux, détails, explications et mise en évidence du contexte politique et des propos de Mafalda, explication de certains symboles (comme le globe ou la soupe). De manière à rappeler aux lecteurs l’origine même de cette bande dessinée, expliquant le choix de l’enfance comme moteur de ces planches chargées de réflexion (« Ce qui est tragédie pour l’âge adulte et comédie pour l’enfance », nous rappellera-t-on).

Trois exemples d’une belle série d’expositions.

Certaines évidemment plus complexes. D’autres, plus classiques (exposition de planches, tout simplement). Réparties un peu partout à travers la ville, d’un lieu à l’autre. Musées et hôtels. Lieux du festival. Maison des auteurs.

 

Le samedi

Le seul hic? Il faut éviter, dans la mesure du possible, de mettre à l’horaire une visite sur les lieux des expositions le samedi.

Pourquoi?

Vous vous rappelez, plus haut, je disais que la population de la ville triplait quasiment pour le festival? Et bien, ça, c’est particulièrement visible le samedi.

Les lieux sont chargés, les files sont longues.

Et parfois, les lieux choisis ne sont pas nécessairement les plus adéquats pour recevoir cette masse de gens qui cherche à les visiter. L’exposition sur Willem? Dans un petit hôtel, à l’accès et aux salles exiguës, qui permettait difficilement l’accès à plus de cinq personnes à la fois… Les rencontres dessinées où l’on peut voir les auteurs à l’œuvre, expliquant leur travail? Dans un petit amphithéâtre à l’espace limité… Et ainsi de suite…

Pour accéder aux lieux d’Angoulême, il faut (le samedi) s’armer de patience.

Ou faire autre chose…

De mon côté? Essayé d’aller à une activité, puis à une autre… Pour me rendre compte que tout était bien plein. Visiter les stands? À oublier également. À moins de vouloir y circuler, coincé comme une sardine. Verdict final? Promenade dans la Angouleme_Panelville. Se perdre (chose assez facile) au fil de ses artères. Et, éventuellement, pluie oblige, choisir de s’armer de patience pour aller assister à un panel (un petit 40 minutes d’avance et le tour était joué!).

Sujet choisi? « Les hommes et la bande dessinée ».

Essentiellement, les invités (Franky Baloney, Murdoch et Bastien Vivès) allaient répondre à divers questionnements liés à la place des hommes dans la planète BD : qu’est-ce que ça fait d’être un homme dans un milieu d’homme, est-ce que le fait d’être un homme change la manière d’écrire de la BD, est-ce que les auteurs BD peuvent s’imposer comme des mâles Alpha dans leur profession… Un joyeux délire concocté par l’auteure Lisa Mandel, avec l’objectif de rétorquer, si l’on peut dire, aux nombreux journalistes ou organisateurs d’événement qui, lors de rencontres avec des auteures, en viennent souvent à poser des questions, justement, sur le fait d’être femme en BD.

Et, parallèlement, de faire passer un joyeux 90 minutes à l’audience.

Autre écueil? Les représentations avec billetterie… Ici encore, il faut se prendre d’avance. À mon arrivée à Angoulême, les billets pour les concerts dessinés étaient presque tous vendus. Jeudi, vendredi, samedi… Restait le dimanche après-midi.

Quelques euros pour une occasion d’aller voir une dizaine d’auteurs travailler sur une BD muette en 20 cases, créée au fil Angouleme_Concertd’une ambiance musicale, et d’un 45 minutes bien rempli. Un spectacle somme toute assez classique, assez sage, où chacun fait ce qu’il a à faire : le dessinateur dessine, le musicien joue, sans réelle interaction entre les deux… Au fil des cases, un scénario créé par Alfred et Jean-Louis Tripp se dévoile : petite histoire d’amour et de duels entre prétendants.

Bref, tout ça nécessite une certaine patience. Et une certaine planification.

En fait, je dois l’avouer, je me plains la bouche pleine. Je n’ai pas eu à attendre. Pas tant que ça, au fil du Festival d’Angoulême.

C’est une rencontre avec un collectionneur de dédicaces qui me l’a confirmé. Lui est patient. Moi, pas vraiment.

Il y a bonne fréquentation à l’événement et, évidemment, les dédicaces figurent parmi les éléments les plus courus. Grands et petits auteurs sont disponibles. Certains avec un accès quasi direct. D’autres, les plus connus, nécessitant une longue attente. Ce qui amène les collectionneurs à être debout vers les 3h-3h30 du matin, pour être rapidement, vers les 3h30-4h en file pour la dédicace de 10h. Question d’avoir une bonne place, d’être parmi les premiers à l’obtenir, pour pouvoir ensuite avoir une autre bonne place dans les files pour les dédicaces de 13h, puis de 16h… Un véritable marathon qui permettra au chasseur d’obtenir un minium de trois trophées par jour. Une dizaine sur l’ensemble du festival.

 

Les bulles

Les lieux de dédicace, à Angoulême, on les appelle les « bulles ».

Il y en a six : la bulle New York (consacré aux éditeurs indépendants), la Grande bulle (celle des grands éditeurs, Angouleme_Bulleévidemment), la bulle Jeunes talents (concours et exposition de jeunes auteurs), la bulle para-BD (produits dérivés et collectionneurs), la bulle Jeunesse et, enfin, Little Asia (dédiée au manga).

En ces quatre lieux, le cœur de l’activité du festival.

Avec, en prime, quelques espaces additionnels. D’un côté, un espace jeunesse (consacré au polar). De l’autre, un marché des droits, où les éditeurs peuvent venir acheter (ou vendre) les droits de traduction et de diffusion sur d’autres territoires des productions locales. Le marché de la BD, quoi. Une vingtaine de stands, avec quelques albums dans chacun. Et, surtout : une petite table, quelques chaises, des piles de portfolios… L’essentiel pour faire des affaires, signer des contrats.

Dans les grandes bulles, les livres dominent. Certaines dans des décors plus standards (notamment chez les indépendants), d’autres dans des décors plus recherchés (particulièrement dans la Grande bulle).

Personnellement, intérêt particulier pour la section des indépendants : après tout, l’utilité d’un tel événement n’est-elle pas de mettre la main sur des productions qu’on risque bien de ne pas pouvoir trouver ailleurs? Sur ce point, il faut dire qu’Angoulême représente une belle entrée en matière, avec présence d’éditeurs d’un peu partout… Certains avec des produits qui ont un fort côté « vitrine » (par exemple : la BD finlandaise y présentait les éditions successives – et annuelles – de son « atlas » de la production locale).

Tout ça avec un beau potentiel de rencontres, il va sans dire.

Au fil des événements privés ou publics. Au fil des 5 à 7 officiels ou non. Avec concentration des activités festives de fin de soirée vers l’hôtel Mercure, au cœur du centre-ville, qui après minuit devient essentiellement « le » lieu officiel du festival. Tous y sont – auteurs tout particulièrement, répartis un peu partout dans le hall du (petit) hôtel, à échanger, discuter, boire, fêter.

Cela, question de profiter de la présence des collègues.

Avant, pour beaucoup, de se retrouver, le lendemain, en dédicace, dans un stand ou un autre.

D’une certaine manière, on pourrait presque avancer qu’Angoulême, c’est un peu le « festival qui ne dort jamais »… Il y a toujours quelque chose, quelque part… Ou presque!

Dans l’imaginaire des lecteurs BD, Angoulême fait figure de référence, d’incontournable. Si c’est le cas, c’est qu’il a su, au fil des années, s’imposer comme tel. Dans la durée comme dans la présence d’auteurs (d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique). C’est qu’il sait mobiliser l’attention médiatique et la présence d’une masse imposante de lecteurs, d’Europe et d’ailleurs.

Une expérience à vivre, c’est certain. Au moins une fois pour l’amateur de BD.