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Une centaine de créatrices BD s’unissent contre le sexisme dans le milieu du 9e art

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« Notre travail étant perpétuellement l’objet de questions sexuées auxquelles ne font pas face nos collègues masculins, nous, créatrices de bande dessinée, avons décidé de nous rassembler pour dénoncer les formes que prend le sexisme dans ce champ littéraire, tout en avançant des façons de le combattre. »

Voilà comment s’ouvre la Charte des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, une initiative collective qui regroupe une centaine de professionnelles du milieu.

Genèse du projet

Les prémices de l’initiative ont germé sur la route du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, alors que Lisa Mandel avait contacté une trentaine d’auteures de bande dessinée afin de préparer l’événement parodique « Les hommes et la BD ». Question après question « sur le fait d’être une femme dans la BD » sont ainsi répertorié… « L’abondance de réponses et d’anecdotes à caractère sexiste » démontre alors l’ampleur du malaise.

Puis, saut dans le temps – au printemps 2015, l’auteure Julie Maroh est contactée par le Centre belge de la bande dessinée afin de participer à une exposition collective intitulée « La BD de filles ».

Dans les suites de cette invitation – dialogue, échange, consternation. D’un côté, le projet est jugé accablant et misogyne. De l’autre, « la bande dessinée destinée aux filles est une niche pour les éditeurs »… Sur le coup, l’auteure alerte par courriel les différentes créatrices contactées, deux ans plus tôt, par Mandel. « La consternation est immédiate et unanime. » Le rassemblement se crée rapidement. L’idée d’une charte émerge.

« Ce collectif de femmes est nécessaire, car notre travail et notre identité sont encore et toujours biaisés par des stéréotypes de genre. Par la rédaction et la diffusion de notre charte nous voulons dénoncer les aspects du sexisme dans l’industrie littéraire où nous évoluons, tout en énonçant des méthodes pour le combattre », peut-on lire sur le portail bdegalite.org.

Les griefs

Premier grief : « la bande dessinée féminine n’est pas un genre narratif ». Les auteures de bande dessinée explorent, comme tout auteur, l’aventure, le polar, la science-fiction, le romantisme, l’autobiographie, l’humour, l’historique, la tragédie, des « genres narratifs que les femmes auteures maîtrisent sans avoir à être renvoyées à leur sexe. »

Du même coup, on dénonce l’utilisation de termes ou d’étiquette qui renvoient à cette « bande dessinée féminine », comme l’appellation « girly » par exemple, « qui ne fait que renforcer les clichés sexistes ».

Dans le même esprit, le collectif dénonce la mise en place de collection « féminine » : « Cela crée une différentiation et une hiérarchisation avec le reste de la littérature, avec l’universalité des lectures qui s’adresseraient donc – par opposition – au sexe masculin. »

Rectifier le tir

Pour rectifier le tir, il s’agit – pour les créatrices – de garder en tête quelques perspectives.

Tout d’abord, le terme « féministe » n’est « pas une insulte. » « Le féminisme est la lutte pour l’égalité homme / femme dans nos sociétés, soit l’anti-sexisme, et nous voulons promouvoir une littérature plus égalitaire. » À travers cela, il est souhaité d’encourager la « diversité de représentations en bande dessinées » : rendre visible davantage de femmes, de schémas familiaux et homoparentaux, de personnes de couleur, de pluralité ethnique et sociale.

Il est également demandé aux créateurs, éditeurs, institutions, libraires, bibliothécaires et journalistes qu’ils « prennent la pleine mesure de leur responsabilité morale dans la diffusion de supports narratifs à caractère sexiste et en général discriminatoire. Nous espérons les voir promouvoir une littérature qui s’émancipe des modèles idéologiques basant les personnalités et actions des personnages sur des stéréotypes sexués. »

Par ailleurs, les signataires encouragent les libraires et bibliothécaires à ne pas séparer les livres faits par les femmes ou « soi-disant » adressés aux filles lorsque les étalages sont mis en place. « Le fait que des héroïnes soient plus présentes et actives que les personnages masculins ne veut pas dire que les garçons et les hommes ne peuvent pas s’y identifier et en aimer le récit. »

Enfin, il s’agit d’être « à l’écoute de la richesse que chacun renferme en soi », et, de ce fait, d’éviter une séparation hermétique entre le masculin et le féminin.

Le texte intégral de la Charte est retrouvé sur bdegalite.org, de même que nombre de témoignages et réflexions.

Voici, en terminant, un extrait d’un de ces témoignages :

« « Est-ce que c’est difficile d’être une femme… dans le milieu de la BD?” ou bien « Abordez-vous les sujets de vos BD de manière plus sensible [que ne le ferait un homme]? » : cela montre bien à quel point on est encore stigmatisées ou stéréotypées. On ne poserait pas ces questions-là à un homme. Pourtant il y a des hommes plus sensibles que certaines femmes et vice versa. Je ne crois pas qu’il y ait une sensibilité spécifiquement masculine ou féminine. Il y a autant de sensibilités que d’individus. Par extension , il n’y a pas d’œuvre féminine ou masculine (d’ailleurs on ne parle jamais d’œuvres masculines). Chaque œuvre est faite par un individu singulier, qui certes a un sexe, appartient à groupe social, a son histoire, est blond ou brun, a des défauts, des qualités, etc, mais qui est avant tout un être humain. Alors c’est quand même dommage (et un peu triste aussi) de ramener toujours les femmes (auteurs) à leur condition de femmes ou de filles alors qu’on est beaucoup plus que cela… Hommes et femmes, (dois-je le rappeler?), devraient être égaux », y souligne Lucie Durbiano.