BloguesLa vie en BD

Quelques réflexions sur la BD documentaire

Sacco-Journalism_0006

À Québec, ces jours-ci, on parle beaucoup de liberté d’expression ou de création, par le biais du festival Québec en toutes lettres et du congrès de PEN International qui y est rattaché.

En bande dessinée, le pont entre cette thématique et le style documentaire se fait assez simplement, assez rapidement. Sous forme de reportages ou témoignages, nombre d’auteurs ont entraîné leurs lecteurs ça et là, de la Palestine à la Bosnie, la Russie, l’Aghanistan, le Rwanda, la Chine ou encore la Corée du Nord…

Et je me suis dit qu’on pourrait profiter de la présentation d’une rencontre des Rendez-vous de la BD sur cette thématique (« Témoigner, dénoncer : la BD documentaire ») ce mercredi 14 octobre, 19h, pour explorer un brin la présence de ce genre en BD.

Ici, petit échange, façon « Questions et réponses » avec l’animateur de ces rencontres, le spécialiste de bande dessinée Michel Giguère.

Quelles formes prennent la BD documentaire?

« La forme d’un récit en cases, en dessins, exécutés sur place ou d’après photos, et dans tous les styles imaginables, du réalisme d’Emmanuel Lepage ou de Philippe Squarzoni, au schématisme de Guy Delisle ou de Darryl Cunningham, de la profusion maniaque de détails de Joe Sacco au dépouillement extrême de Marjane Satrapi… Et comme dans la BD intimiste, c’est proprement fascinant de réaliser à quel point tout cela fonctionne parfaitement, peu importe le niveau de réalisme du dessin! Depuis Maüs d’Art Spiegelman, on sait que même une BD animalière réalisée dans un graphisme proche du pictogramme peut s’avérer prenante, bouleversante… Le réalisme est ici accessoire : ce qui prime c’est l’authenticité! »

Cette démarche risque de susciter, chez quelques-uns, un certain scepticisme…

« Oui. On le sent d’ailleurs à l’insistance d’un Joe Sacco à démontrer la rigueur de son approche et à revendiquer le statut de reporter au même titre que s’il manipulait une caméra. Pourtant, ça s’inscrit dans une solide tradition puisqu’il n’y a pas si longtemps on dépêchait des illustrateurs au front ou dans des contrées lointaines pour rendre compte des faits et présenter, à leur façon, des reportages dessinés… Et ça se fait encore aujourd’hui lors de procès! Après tout : le dessin permet de passer parfois plus facilement entre les mailles des filets de contrôle. En Corée du Nord, par exemple, un Occidental ne prends pas de photos comme il le veut, mais s’il griffonne dans un carnet, ça peut paraître innofensif… Et ça peut donner des témoignages précieux, comme le Pyongyang de Guy Delisle ou La Faute de Michaël Sztanke et Alexis Chabert. »

Évidemment, entre Delisle et Sacco, l’approche tant que le ton ne sont pas les mêmes!

« Absolument! Tout part de l’intention : c’est pourquoi je distingue reportage et témoignage. Joe Sacco se rend dans des coins chauds du globe avec l’intention de rendre compte de ce qui s’y passe – en l’occurrence, la Bosnie, la Palestine ou encore les villes américaines dévastées par la crise économique de 2009. Emmanuel Lepage est mandaté pour embarquer sur un navire de ravitaillement dan les îles de la Désolation ou en Antarctique ou encore pour une visite des environs de Tchernobyl, dans l’esprit de partir en mission de reportage. Guy Delisle ou Nicolas Wild (pour son Kaboul Disco) vont en Asie ou au Moyen-Orient et tiennent un journal de voyage en BD, racontant une série d’anecdotes qui vont traduire leur dépaysement, leur étonnement, leur trouble, mais sans prétention journalistique ou documentariste. Le ton y est plus léger, mais le témoignage, lui, y est tout aussi précieux. Évidemment, sur le ton, une infinité de nuances se déclinent également : pour un Joe Sacco qui laisse la parole aux gens qu’il rencontre et dont la narration demeure la plus neutre possible, il y a un Lepage qui partage ses états d’âmes ou un Squarzoni qui réalise de véritables essais d’opinion, dénonçant le libéralisme à outrance ou le réchauffement climatique, ou encore un Étienne Davodeau qui prend parti pour les militants, les agriculteurs… »

Dans ce contexte, comment l’auteur BD peut-il asseoir sa crédibilité et son objectivité lorsqu’il rapporte les faits par ses dessins? Pour plusieurs, il y a la question de cet intermédiaire, qui présente « sa » vision de ce qui s’est passé…

« Cette idée-là s’impose dans notre esprit dès qu’on se met à concevoir le principe d’un reportage dessiné : jusqu’à quel point s’y fier, comment lui accorder foi, comme tu dis! Personnellement, par-delà de la rigueur ou des bonnes intentions du reporter ou des témoins dont il rapporte les paroles, je considère que l’objectivité est un leurre. Et je me dis qu’en BD, l’intervention de l’intermédiaire, le fait que la réalité est interprétée par lui, et bien, c’est clair et net. Conséquemment, c’est une approche qui ne triche pas en prétendant à l’objectivité parfaite. Et puis, comme le fait remarquer Davodeau dans la préface d’une de ses BD documentaires, dès lors que tu cadres une image, ça devient subjectif. Que ce soit avec un crayon ou une caméra, cadrer, c’est prélever un segment, c’est choisir ce que tu montres et ce que tu ne montres pas… La réalité devient biaisée dès qu’elle est montrée dans un certain cadrage. »

Pour le détail de la rencontre de mercredi, je vous révère à l’événement Facebook de l’activité.