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Jacques Hurtubise, décès d’un géant de la BD d’ici

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Vendredi 11 décembre dernier, le cofondateur du magazine Croc, Jacques Hurtubise, est décédé d’une crise cardiaque.

Pour moi comme pour bien d’autres de ma génération, le premier contact avec la bande dessinée québécoise s’est faite à travers le magazine Croc.

Dans mon cas? Mes parents y ont été abonnés, pendant quelques années. Ou l’achetaient parfois en kiosque, au fil des couvertures… Résultat : quelques numéros traînaient dans la maison, sur une table ou au détour des tiroirs. Le dessin et son ton stimulent un brin la curiosité de l’enfant que j’étais alors, suffisamment pour mettre de côté, à l’occasion, mes Astérix. Suffisamment pour faire un premier pas vers la bande dessinée québécoise.

Puis, au fil des années, au fil de l’enfance, de l’adolescence, de cette route vers l’âge adulte, Croc reste une constante. Un univers qu’on côtoie. Qui nous permet d’ancrer en nos esprits le trait des uns, l’imaginaire des autres. Suffisamment omniprésent et incontournable pour qu’on les connaisse, ces univers, qu’on en soit ou non un lecteur assidu. Suffisamment pour qu’on regrette peut-être de ne pas s’y être suffisamment attardé au fil de sa jeunesse lorsqu’arrivé à « l’âge de raison ».

Bref, pour l’essentiel de mon existence, ma relation avec cet univers s’est limitée à une « pointe de l’iceberg », faisant de moi quelqu’un qui est plutôt mal placé pour, en quelques lignes, vous en faire à nouveau saisir l’importance.

Compte tenu de l’importance de l’homme, vous me permettrez, toutefois, d’emprunter aux autres les mots justes et les bons constats, énoncés au fil des chroniques et articles des derniers jours.

Un géant

Au fil des dernières années, j’ai eu l’occasion de me plonger comme jamais dans l’univers de la BD faite au Québec. De plonger également dans son histoire. De saisir l’importance majeure de Croc dans son évolution, dans ce que certains ont appelé son « Premier Âge d’or ». De comprendre que j’étais l’un parmi bien d’autres à prendre ce premier contact avec cet univers de bulles et de planches bien de chez nous à travers les pages du magazine. Que sans Croc – et par extension, sans Jacques Hurtubise – la bande dessinée d’ici ne serait pas aujourd’hui ce qu’elle est.

C’est d’ailleurs ce qu’indique le chroniqueur et auteur Jean-Dominic Leduc – qui a plongé dans l’histoire et l’impact du magazine avec son ouvrage Les Années Croc (Québec-Amérique) – dans les pages du Journal de Montréal.

« Si aujourd’hui au Québec, il se vend des albums de bandes dessinées et qu’il y a des auteurs connus, c’est grâce à Jacques Hurtubise. »

Rien de moins.

Il faut dire qu’avec Croc, les auteurs BD québécois avaient pour la première fois – hors de quelques strip de quotidiens – accès à une rémunération adéquate pour leur travail.

Un sentiment que partage d’ailleurs l’autre auteur des Années Croc, l’historien du 9e Art Michel Viau, dans les pages du Devoir :

« Jacques Hurtubise, c’est une — sinon la — personne qui a le plus marqué la bande dessinée au Québec. (…) Durant la première partie des années 70, il en a été un des plus ardents promoteurs. Ses efforts visaient à sortir la bande dessinée québécoise de l’amateurisme et à poser les bases d’une véritable industrie de la bédé au Québec. Il voulait que les auteurs deviennent des professionnels et qu’ils puissent vivre de leur art. L’émergence de talents comme ceux de Godbout, Eid, Garnotte, Bado, Gaboury… dans les pages de Croc, puis du magazine Titanic [qu’il a fondé par la suite], témoigne de son succès. »

Une influence qui se sent d’ailleurs au-delà de la BD québécoise.

Le terme « géant » que j’ai choisi pour cet intertitre, je l’ai emprunté au créateur Jean-Pierre Plante, qui l’utilise dans La Presse pour qualifier Hurtubise :

« Jacques Hurtubise, gentil géant chaleureux, mais d’humeur changeante, était un véritable entrepreneur, courageux et fou en même temps. Un peu comme Gilbert Rozon… J’ai souvent vu Hélène [Fleury, sa compagne de l’époque des années Croc] et Jacques faire la liste des avoirs qu’ils pourraient vendre ou laisser en gage pour sauver la revue qui, parce les annonceurs étaient craintifs, ne survivait que grâce à son tirage. Jacques mettait sa vie sur le billot… »

Une riche carrière

C’est en novembre 1971 qu’il lance sa première revue BD, L’Hydrocéphale illustrée. Il fondera ensuite, coup sur coup, la maison L’Hydrocéphale entêté (1972) puis la coopérative Les Petits dessins (1973).

Le grand coup, c’est évidemment le magazine Croc, aventure qui aura duré de 1979 à 1995, au fil de 185 numéros, en plus de divers passages vers d’autres médiums – télévision et radio. Et en marge de cette titanesque aventure, il lance la revue professionnelle de BD Titanic au fil de 12 numéros, sans oublier ses éditions Ludcom-Croc à travers lesquelles il se lance dans la publication d’album.

Cette contribution, tant à titre d’éditeur qu’à titre de créateur – à travers son pseudonyme de Zyx, sous lequel il a signé notamment son Sombre vilain – aura d’ailleurs mené Hurtubise vers le Temple de la renommée de la bande dessinée canadienne où il est intronisé en 2007.

« Because of his talents in graphics and because of his entrepreneurial exploits, Zyx was on of the driving force of the Canadian «Bandes dessinées » movement and one of the big names among Canadian artists of the 1970-1990 period », explique-t-on sur le site des Joe Schuster Awards.

Il est par ailleurs l’un des seuls québécois – avec Albert Chartier – cité dans le Dictionnaire mondial de la bande dessinée publié chez Larousse.

Plus récemment – depuis 2012 en fait, il se consacrait à la lutte à la pauvreté, en tant que directeur de l’innovation et du développement chez Oxfam-Québec.

En ces jours difficiles, nos pensées se tournent vers sa famille et ses proches, à qui j’adresse mes sincères sympathies.