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Des idées pour offrir une BD québécoise en cadeau à Noël? Petite conversation simulée

En tant que lecteur assidu de bande dessinée – tout particulièrement de bande dessinée écrite ou éditée au Québec – je reçois parfois des demandes de mon réseau et de mon réseau élargi, à la recherche de quelques suggestions de lecture.

La conversation ici reproduite n’est pas l’un de ses échanges.

Dans celle-ci, je tente de répondre à quelques demandes classiques « d’idées-cadeaux », inspiré essentiellement d’albums publiés au Québec ou rédigé par des auteurs québécois au fil de 2015.

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« Salut! Aurais-tu une BD à me suggérer? Je voudrais donner une BD québécoise à mon chum. »

« Oui… Mmm… Qu’est-ce qu’il aime lire? »

« Il ne lit pas vraiment. Mais il joue à Fallout 4 pas mal depuis que c’est sorti. Peut-être aurais-tu quelque chose dans le genre post-apocalyptique à me proposer? »

« Bien, il y a toujours Far Out. Le tome 1 est sorti l’an dernier, le tome 2 cet automne. Évidemment, le pont qu’on pourrait faire avec Fallout dépasse les deux premières lettres du titre et sa sonorité! D’abord, c’est un western de science-fiction, bien atmosphérique – en fait, les dessins d’Olivier Carpentier sont tout simplement superbes, rien de moins. On sent la chaleur, on sent l’espace, le côté désertique de ce Far West qu’ils nous présentent… Au cœur de l’histoire, des robots – et une recherche d’identité, une quête de soi-même… Un côté mystérieux, mythologique à l’histoire. C’est possible de parcourir le volume en allant faire un tour sur KimiQ.com d’ailleurs – il a d’abord été publié sur le Web, et a fait son passage au papier au fil des dernières années via le Studio Lounak, comme pas mal d’autres titres de la plateforme d’ailleurs. Cela dit, si tu aimais voir Montréal en mode post-apocalyptique, il y a aussi Hiver nucléaire de Cab, chez Front Froid. Ça part de l’idée qu’il y a eu une catastrophe atomique, et que la Métropole est maintenant sous un perpétuel hiver nucléaire. Sa population est désormais composée d’humains normaux, de mutants et de créatures diverses. On suit l’histoire d’une livreuse et de son entourage, un côté aventure et un côté humain à l’histoire, entre combats sur neige et jalousie amoureuse. »

« Ah. C’est cool! Est-ce que les auteurs de Far Out ont une barbe? Je pense que si mon chum lit un auteur BD, ça sera important pour lui qu’il ait une barbe. »

« Vraiment? »

« Oui. »

« Bon… Oui : je crois que les auteurs de Far Out ont une barbe. Olivier Carpentier, dans ma mémoire, en a une plus qu’appréciable. Celle du scénariste, Gautier Langevin est plus timide. »

« D’autres bons auteurs qui ont une barbe? »

« Mmm… Pas tant que ça, en fait. Vite de même. Ce sont plutôt des barbes timides. Exemple : Jimmy Beaulieu. Ses Non-aventures ont été rééditées à Mécanique générale. Il y raconte divers moments tirés de son existence, de son travail, de son intimité, de très belle façon. Et puis, tu ne peux pas plonger dans la bande dessinée québécoise sans lire, en cours de route, Jimmy Beaulieu. Non-aventures est une sacrée belle porte d’entrée dans son univers narratif et graphique. »

« Et pour moi? Une idée? »

« Plus de détails? »

« Ben… J’aime ça rire. J’aime bien les séries genre Clueless ou Bridget Jones. Mais j’aime ça que ça soit intelligent aussi. Bien fait… »

« Tu pourrais toujours regarder – évidemment – du côté des Nombrils chez Dupuis. Une des séries les plus populaires produites au Québec – un grand succès dans la Francophone – et avec raison! Difficile de passer à côté quand on recommande des BD. C’est parti d’une série à gag, et ça a évolué vers des albums très narratifs, très thématiques. Les auteurs ont le sens du punch. Les personnages sont forts, bien campés et au fil des albums, Dubuc et Delaf leurs ajoutent des facettes… Le dernier volume, paru au début de l’automne, s’intéresse aux questions d’identité, de sexualité, de pressions sociales versus l’affirmation de soi. Bref : on ne se gêne pas pour aborder intelligemment les vrais affaires. Tu pourrais aussi jeter un coup d’œil aux deux tomes de C’est pas facile d’être une fille, de Bach. C’est une fille dans la vingtaine qui s’inspire de son quotidien pour créer diverses histoires humoristiques. On parle de féminité, d’amitié et d’amour. On s’amuse avec les travers des uns et des autres. Au fil de l’histoire, on en vient vers le mariage – le climax du premier tome, c’est la demande en mariage, l’essence du second, c’est la préparation de la cérémonie, avec, comme réflexion sous-jacente, l’idée de l’engagement, ce qui fait qu’aujourd’hui, on cherche à s’engager pour la vie. Tout ça avec un trait noir et blanc efficace. C’est du côté de Mécanique générale aussi. »

« Super! Et si je veux juste rire en mangeant des fruits? »

« Évidemment, si tu veux juste rire en mangeant des fruits, tu peux aussi jeter un coup d’œil au Bestiaire des fruits, de Zviane. C’était dans mes coups de cœur de son année de parution. »

« Merci! Ça va me faire sortir de mes réflexions personnelles, face à l’orientation que je souhaite donner à ma carrière, à mes passions… Je suis pas mal à une croisée des chemins. »

« Ah! Bien dans ce cas, tu devrais peut-être jeter un coup d’œil au Ping Pong de Zviane. C’est essentiellement ce qui est détaillé, en trois temps, dans cet album des éditions Pow Pow. Dans un premier temps, il y a eu un récit autopublié, vendu à 500 exemplaires. L’éditeur de Pow Pow, Luc Bossé, a approché Zviane pour une version éditée de l’ouvrage, mais ils ne voulaient pas se limiter à une simple réédition, alors ils ont trouvé un twist. J’explique : au départ, Ping Pong était un questionnement sur les choix qu’on doit faire face à la création, sur le défi de la duplicité, sur la difficulté de s’investir entièrement à une pratique ou une autre (pour résumer grossièrement). Évidemment : de telles réflexions, mises sur papier, c’est un peu comme une photo, c’est un instant, un moment. Quelques années plus tard, la pensée de Zviane avait évoluée, progressée. Résultat : elle a choisi d’annoter les marges de son ouvrage, pour mettre en relief cette progression. Et, pour aller un peu plus loin, elle a choisi d’inviter une douzaine d’autres auteurs BD à réagir à certaines des réflexions de son ouvrage, dans quelques planches de leur cru placées en annexe à sa bande dessinée. Ça donne quelque chose de vraiment intéressant. Quelque chose qu’on lit, qu’on feuillette, pour animer notre réflexion. »

« Et si je veux avoir peur? Il me semble que les récits d’horreur, ça ne devrait pas être limité juste à l’Halloween… »

« Pas évident de faire peur en BD. Je te dirais que ta meilleure chance, ce serait peut-être avec un titre comme Promise, chez Glénat, la trilogie de Mikaël et Thierry Lamy. C’est l’histoire d’un petit patelin, dans les années 1800 aux États-Unis. Un bled isolé, au milieu des montagnes et de la forêt. Au début d’une saison hivernale, un pasteur s’amène avec son immense chien, et assoit son emprise sur le village et ses habitants. Évidemment : ses intentions sont tout sauf bonnes – après tout, son objectif est, au terme d’une année, de donner naissance à une sorte d’antéchrist, l’Incube. Je n’en dis pas plus! Le récit est solide et, surtout, va jusqu’au bout de ses annonces, de ce qu’il met en place. Et côté dessin, le trait et la mise en scène de Mikaël sont diablement efficaces. Des paysages denses. Des couleurs sombres. Tout pour faire jaillir une atmosphère d’angoisse chez le lecteur le plus averti. Sinon, tu peux toujours aller profiter des ambiances et surtout du trait un brin surréaliste ou impressionniste de Julie Rocheleau dans la trilogie La Colère de Fantomas, scénarisée par Olivier Bocquet. Puisqu’on parlait de dessin : difficile de ne pas être séduit par son travail, de ne pas être emporté par ses ambiances… D’ailleurs, intéressant de lire cet ouvrage, et de plonger ensuite dans La Petite patrie – même dessinatrice, autre ambiance! »

« Cool! Il y a des Québécois qui donnent dans le fantastique! »

« Oui. En fait, tu as même une série fantastique qui se plonge dans l’univers mythologique du Québec, mâtiné de mythologie celtique. C’est un récit à savoir mi-humour, mi-thriller fantastique qui s’appelle La Bête du lac, de François Lapierre et Patrick Boutin-Gagné. J’avais bien aimé le coup d’envoi du premier tome, il y a quelques années, et les auteurs ont réussi à bien boucler leur trilogie, sans se perdre, et avec quelques rebondissements en bonus. Essentiellement, c’est l’histoire d’un village aux côtés d’un lac habité par une immense bête et une sirène… Le premier tome, c’est le combat entre la Bête et les villageois… Au second tome, on découvre que la Bête tentait de garder close une immense porte, menant vers on ne sait quoi, qu’on tentera d’ouvrir… Au troisième tome, la porte est ouverte, et c’est l’affrontement final. Un récit sympathique et efficace. Sinon, côté fantastique, tu peux jeter un coup d’œil à des titres comme Léthéonie, de Julien Paré-Sorel, à 23h72 de Blonk, ou encore à la trilogie des Motel Galactic de Pierre Bouchard et Francis Desharnais. »

« Tant qu’à ça, as-tu une idée pour ma nièce et mon neveu? »

« Un peu plus jeunes? Évidemment, il y a pas mal de bonnes séries jeunesse au Québec. Je crois que tout le monde connaît bien L’Agent Jean chez Presse Aventure, d’Alex A, ou encore Guiby, de Sampar, chez Michel Quintin. Ça reste, à mon avis, deux incontournables en BD jeunesse. »

« Et plus vieux? Genre crise d’adolescence? Genre secondaire? »

« Si on y va pour un peu plus vieux, alors pourquoi pas y aller dans un album au fil de duquel ils seraient en mesure de se reconnaître? Je pense par exemple à Paul dans le Nord, le dernier Michel Rabagliati. Essentiellement, on est en 1976, avec en arrière-plan les Jeux olympiques et les paysages des Laurentides. C’est l’histoire de la crise d’adolescence de Paul, de ses premières amitiés entre gars, et, surtout de ses premières amours – et peine d’amour. Rabagliati réussit encore à faire fonctionner son univers. Toujours bien fait. Bien rythmé. Bien dessiné. Sinon, tu peux toujours jeter un coup d’œil aux quatre Glorieux printemps de Sophie Bédard chez Pow Pow, où l’on suite le quotidien d’une bande d’amis au secondaire. Un style de dessin d’influence manga, un beau sens du dialogue, et une belle progression, au fil des tomes où la nature des personnages prends forme. »

« Ça fera quelque chose à lire en attendant la version 3D de La Guerre des tuques ou la version originale sur Tou.tv. »

« Ben, si tu cherches plus quelque chose dans l’esprit Guerre des tuques ou Guerre des boutons, il y a aussi le French Kiss 1986 de Michel Falardeau, chez Glénat. »

« Des suggestions côté hors Québec? »

« Évidemment. Faudrait d’ailleurs que je prépare mes coups de cœur 2015, Québec et hors-Québec… Mais d’emblée, je te dirais que j’ai beaucoup, beaucoup aimé le Joker de Benjamin Adam, à La Pastèque. Trois frères qui font une partie de cartes, chaque semaine, et lors de laquelle le gagnant peut choisir quelle vie il mène pendant les jours qui la suive – vie de plaisir dans le manoir familial ou vie de famille avec épouse et enfants. Évidemment, ça dégringole par après, tout n’est pas rose. Et Adam réussit à offrir une très belle approche narrative, surprenante et efficace, qui nous permet d’aller chercher une multitude de points de vue sur l’action et ses enjeux. Sinon, bien aimé le dernier de Derf Backderf, chez Ça et là, Trashed, dans lequel ont suit un étudiant qui, faute d’autre option, décide de prendre un travail d’éboueur comme travail d’été, pour ensuite y rester quelques années… On suit le cercle de la consommation, de la maison vers les vidages vers le dépotoir. On suit la routine des éboueurs, au fil de quelques journées de travail réparties sur quelques saisons, été, automne, hiver. Avec des personnages particuliers, charismatiques… Sinon, des clins d’œil à Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro, chez 6 Pieds sous terre, ou encore aux Équinoxes de Cyril Pedrosa, chez Dupuis – entre autres, évidemment! »

« Merci! Et t’as rien avec des canards? Depuis Ducktales, il me semble qu’il n’y a jamais assez de canards en bande dessinée… »

« Il y a toujours Les Pieds palmés, de Mat Ordog, chez Michel Quintin, qui pourra te donner une dose de canards. C’est un récit fait façon vieille école, mais avec un côté absurde, où l’on suit des canards qui cherchent à creuser un mystère lié à l’aridité des terres… »

« Excellent. Y’a de belles idées. »

« Je crois, oui. Chose certaine : j’en oublie sûrement. Tu peux toujours jeter un coup d’œil à mes chroniques coup de cœur des dernières années : 2014, 2013, et une compilation de BD québécoises pour la Fête nationale 2012… En attendant ceux de 2015, auxquels je suis en train de réfléchir… À suivre! »