Pas facile, cette année, de faire un bilan de mes lectures, et surtout, des coups de cœur qui en sont ressortis.
Pour moi, du moins.
Peut-être parce que 2016 était, d’un point de vue personnel, moins une année dédiée à la sphère de la bande dessinée. Que la lecture y a pris une place peut-être un peu moins prépondérante qu’à l’habitude. Sait-on. Cela dit, ce n’est pas parce qu’elle y a pris une place « moins prépondérante » qu’elle n’y a pas pris de place, bien au contraire!
Et ce n’est pas parce que je suis quelques jours en retard pour les bilans que je ne vous offrirai pas un petit bilan, quelques coups de cœur BD cumulés au fil de 2016.
Trois coups de cœurs québécois
Allons-y d’abord avec la BD québécoise…
Et question de tuer tout suspense, je commence par mon premier choix, tiens! Et il va à la désormais incontournable Femme aux cartes postales de Jean-Paul Eid et Claude Paiement, proposé à La Pastèque.
D’un point de vue visuel, un album superbe, un peu comme si une série de cartes postales et images d’époque prenait vie. Un trait supporté par un récit croisé, entre deux époques, entre deux quêtes de soi-même. L’histoire de cette femme, qui quitte son village pour aller à la conquête des cabarets, de Montréal à Cuba. L’histoire de cet homme, en quête d’un secret enfoui dans une maison acquise en pleine Gaspésie.
Un récit qui vaut largement la peine d’être découvert, d’être lu.
Évidemment, La Femme aux cartes postales n’est pas le seul bon album québécois de l’année! Plusieurs beaux titres se sont succédés, chez vos libraires, au fil de 2016.
Deux bandes dessinées à saveur documentaire, journalistique, ont particulièrement attirés mon attention.
D’un côté, le Nunavik de Michel Hellman, aux Éditions Pow Pow, belle suite pas-si-logique-que-ça à son Mile End d’il y a quelques années. Au fil des pages de l’album, l’auteur nous offre son regard sur le Nord québécois, sur ceux qui y habitent, sur ceux qu’ils y croisent. Une manière de partager, de faire découvrir, une réalité pas si connue que ça et, surtout, pas si comprise que ça. Le tout avec un ton entre légèreté et gravité, avec humour et subtilité. Vous comprendrez que j’ai bien aimé!
En parallèle, je souligne également la parution du nouveau Guy Delisle, S’enfuir, chez Dargaud, un récit poignant par son sujet (l’histoire d’un otage, au fil de quelques mois de captivité) que par l’angle de son traitement (une volonté d’immersion, presque, nous faisant « vivre » l’expérience à travers la perspective, unique, de l’otage). La mise en scène de Delisle est solide, surtout considérant que l’essentiel de l’album se passe dans une pièce blanche, contenant uniquement un radiateur et une fenêtre obstruée. Il en résulte un album prenant, qui laisse difficilement son lecteur indemne.
Quelques mentions honorables
Sinon, côté « mentions honorables », mentionnons Le Facteur de l’espace, de Guillaume Perreault (La Pastèque) et son récit tout en sourire d’un parcours improbable de facteur spatial, Louis parmi les spectres de Fanny Britt et Isabelle Arsenault (La Pastèque), Le Retour de l’Iroquois de Louis Rémillard (TRIP) pour sa qualité générale autant que le plaisir que j’ai eu à le parcourir, et Rôles de composition de Jimmy Beaulieu (Mécanique générale), pour leurs réflexions sur le couple et les relations humaines ou familiales fines et poignantes.
J’ajouterai à cela, du côté des « rééditions », la proposition 10e anniversaire du Nicolas de Pascal Girard (Mécanique générale / Drawn & Quarterly) pour son regard sur le deuil, sur la perte, sur la mort et ses conséquences.
Côté « premiers albums », je mentionne au passage l’expérimentation visuelle et narrative, à saveur théâtrale, proposée par Éléonore Goldberg et Dominick Parenteau-Leboeuf (La Demoiselle en blanc, chez Mécanique générale), qui m’a laissé un belle impression. Ou encore le profondément absurde 500 premiers Cadieux de Xavier Cadieux à La Mauvaise tête, qui m’a entrainé dans un monde pas-possible et déjanté au fil de ses planches.
Trois coups de cœurs internationaux
Du côté international, beaucoup de beau matériel, comme à l’habitude.
J’aurais pu vous citer, sans craintes, le surprenant Stupor Mundi de Néjib, chez Gallimard, qui m’a entrainé dans son récit dense, chargé d’illusions, de mystères et de non-dits. J’aurai pu aussi – et surtout encore – vous mentionner à quel point je trouve agréable la lecture de la série Chiisakobé de Minetaro Mochizuki, chez Lézard noir (qui nous a présenté ses tomes 3 et 4 en 2016). Mais disons que ces deux titres feront office de « mentions honorables » pour l’occasion – et que d’autres lectures 2016 s’ajouteront également, au fil des prochains mois, à mon horaire chargé et pourraient ainsi enrichir un éventuel survol « définitif » de mes coups de cœur annuels!
Disons que si j’avais, à ce stade, un choix à faire, je le donnerais au Shangri-La de Mathieu Bablet, chez Ankama.
J’ai été littéralement happé par ce récit. Après réception, j’ai commencé à parcourir les pages, « juste pour voir ». J’ai été intrigué par son dessin réaliste et impressionniste, intrigué par les détails – tant architecturaux que sociaux – de cette société post-humanité que Bablet nous offrait. J’ai commencé la lecture, même si je n’en avais pas, à ce moment, le temps. J’ai découvert un récit d’anticipation solide, une mystérieuse société qui contrôle une humanité perdue, post-cataclysme, et des informations capitales qui pourraient changer le cours de la vie humaine… Vous devinerez que, temps ou pas temps, je n’ai pas déposé l’album tant que la lecture de celui-ci n’a pas été terminée!
Outre ce titre, pour compléter un tentatif « top 3 », j’irais d’abord du côté de la réinvention de Lucky Luke offerte par Mathieu Bonhomme dans L’Homme tua Lucky Luke, chez Dargaud.
Vraiment, une réinvention particulièrement réussi de l’univers de Morris et Goscinny. Ou plutôt, devrait-on dire, un hommage. Un Lucky Luke comme on en a pas lu depuis longtemps, vraiment. Partant d’un détail – Lucky Luke qui arrête le tabac, on construit tranquillement une intrigue à la fois simple et riche, qu’on met en scène avec un trait souple et juste, suffisamment dans la suite de celui de Morris pour qu’on reconnaisse l’univers, suffisamment approprié par Bonhomme pour qu’on saisisse la différence.
Un coup de maitre parmi les (nombreuses) relectures d’univers BD « mythiques » qu’on nous offre en rafale depuis quelques années.
Enfin, dernier clin d’œil, du côté d’un de mes auteurs BD favoris du moment : Tom Gauld, qui nous a offert Police lunaire (Alto) ou, si vous préférez en version originale, Mooncop (Drawn & Quarterly). Un récit encore une fois réussi, dans la veine de son Goliath d’il y a quelques années, avec l’esprit et l’humour de ses chroniques du Guardian compilé il y a deux ans dans Vous êtes tous jaloux de mon jetpack.
En quelques mots : l’histoire d’un policier, affecté à la surveillance d’une Lune qui, peu à peu, est en train de se vider de ses occupants – faute de travail ou d’intérêt. Un policier dont la charge prend un côté de plus en plus absurde et inutile, doublé d’une réflexion fort pertinente sur l’existence et son but.
Alors voilà.
Quelques idées de lecture pour vous (parce que, après tout, c’est à ça que servent les compilations « coups de cœur », non?).