Restos / Bars

Le Basilic : Tropicalissimo

Dès que Christophe Colomb eut découvert les Antilles, les grosses puissances économiques de l’époque ont commencé à se les disputer. L’Espagne, la France, l’Angleterre, le Portugal, les Pays-Bas, les États-Unis et le Danemark ont tous conquis, à coups de boulets, une ou plusieurs îles à un moment ou à un autre depuis cinq cents ans. Certaines îles ont même changé de mains seize fois! Et chaque puissance a importé ses produits, ses plantes, ses esclaves et ses cuisiniers, et les a laissés derrière elle. Ce melting-pot (c’est le cas de le dire) se goûte toujours dans la cuisine des Antilles contemporaines. Certains ragoûts ont des airs vaguement «bistro», ou signalent, par l’usage du curry, la présence des Indiens; les acras renvoient à l’Afrique, le riz à l’Espagne, la morue au Portugal, et le poisson mariné au Danemark.

La cuisine antillaise est d’abord une cuisine ménagère un peu brouillonne, il faut le dire, mais qui n’a d’autre prétention que celle de nourrir ses convives. Elle ne fera pas la couverture des magazines américains, c’est certain. Pourtant, elle a beaucoup de charme et ne manque pas d’originalité, c’est une cuisine du cour, simple et ensoleillée qui, parfois, fait preuve de beaucoup de caractère – surtout si on y ajoute des petits piments. En passant, l’habanero en usage là-bas est le plus foudroyant des chilis; on dit qu’il peut neutraliser les papilles pendant vingt-quatre heures. Attention aux condiments de table!

Le Basilic, autrefois restaurant de quartier tenu par des Québécois, dans sa version revue et corrigée par un patron martiniquais, n’a pas peur de mêler des plats français à ses petites spécialités des Iles. Le décor fait plus «gothique» que tropical avec des coloris violacés et noirs, ce qui n’est pas très engageant. Il me semble qu’avec une telle cuisine, on souhaiterait un décor de vacances. La carte modeste fait paraître quelques mets créoles où le fond de l’assiette reste une belle et bonne affaire. Le boudin créole (fait sur place), une variante de la charcuterie classique en plus relevé, est en tous points une réussite, soigneusement épicé et servi sur une petite salade. Les acras de morue, bien qu’un tout petit peu gras, sont préparés dans une pâte assez légère et pimentée juste à point. En plat, nous avons délaissé l’entrecôte trop familière et pas assez tropicale au profit d’un ragoût de lambis, une bibitte qui évolue au fond d’un énorme coquillage – celui dans lequel, dans ma jeunesse, on me faisait écouter le son de la mer. Le mollusque est moelleux et possède un goût subtil, cuit à l’étouffée dans une sauce aromatique aux tomates et aux herbes dans laquelle pointent des notes citronnées. Le colombo de poulet, version martiniquaise du curry indien, est parfumé et juste un peu piquant, parfait pour les soirs d’été torrides. On accompagne les plats d’un riz un peu grossier mais savoureux, et de légumes tropicaux – christophines et patates douces – parfaitement bien apprêtés. Si on aime les bananes, on les fait flamber au vieux rhum, ce qui les caramélise un peu; sinon, on fait une marche en rêvant de plages! Le service est courtois et informel, et la carte des vins, un peu pauvre, mais les prix sont doux. Un repas coûtera une quarantaine de dollars tout compris, avant le vin.
Le Basilic
5237, rue Saint-Denis
278-3957

La Chilenita
Enclave chilienne au milieu du quartier portugais, autrefois juif, lui-même au cour du Plateau: il y a de l’espoir dans le Village global. Pour les proprios de ce petit troquet – et j’insiste, petit, à peine trois tables – il ne s’agit pas de révolutionner l’art culinaire, il faut d’abord pourvoir à ses semblables qui s’ennuient des empanadas, ces riches timbales d’une pâte un peu massive, fourrée de tout ce qui peut venir à l’esprit d’un cuistot: viande, saucisse, poulet, aubergines, tomates, ail, thon, palourdes, crabe, name it! La même maison s’était d’ailleurs déjà établi une colonie d’empanadas sur la rue Clark, au coin de Marie-Anne. Elle y est toujours et continue de produire les petits chaussons au kilo ou à l’unité. Dans le nouveau local, on entend parler espagnol; ça sent la bonne cuisine maison; les gens se parlent entre eux, rient, et s’agitent mucho lentamente: Fref, cet endroit qui n’occupe qu’un tout petit coin et qui mérite bien son nom de resto de quartier est vraiment sympa. Et c’est exactement ce qu’ils devraient tous être: modestes, pas chers et réjouissants. Les empanadas coûtent 2 $ l’unité, mais on offre aussi des salades, des sandwichs, des quesadillas, et aussi des desserts indigènes. Vous ne dépenserez guère plus de 7 $ ici.
La Chilenita
152, rue Napoléon
286-6075