Nous n’avons pour toiture que le bleu du ciel, dilué de lumière crue. Il y traîne le souvenir blanchâtre et vaporeux du passage d’un jet. Rien ne vaut, dit-on, un coucher de soleil contemplé de cette terrasse; nous n’en doutons pas, mais nous ne pouvons que l’imaginer pour le moment, car il est à peine midi. On vous y conduit avec ce même sourire qui vous a accueilli et avec une fierté bien légitime. Si les habitués la jurent «imprenable», cette vue démesurée sur le fleuve, c’est que chacun la prend pour soi tout seul, un large pan du Vieux-Québec sur la rétine et une bière à la main. Qui y a bu y reboira.
Le nom de ce restaurant s’inspire de l’Escalier rouge, dont les 192 marches grimpent à flanc de falaise vers la rue Fraser. Mon invitée et moi sommes aujourd’hui d’une clientèle variée qui joue les estivants, le temps d’un dîner. Nous avons opté pour un coin d’ombre fraîche, un peu en retrait. A une table de neuf ou dix personnes, on arrose de vin rouge, de bière et de bonne humeur le départ d’un collègue, et les plats qu’on leur destine nous laissent en passant une bonne odeur de cuisine maison. Le menu du jour est là, petit tableau blanc marqué de feutre noir: terrine maison, crème de légumes, velouté de tomates et poivrons, tarte aux poireaux, linguine carbonara ou alla bolognese, salade de jambon, merguez sauce tomate, longe de porc à la moutarde…
En attendant que je me décide, mon invitée s’en va admirer, dans la salle à manger (déserte pour cause de beau temps), des ouvres de Louise Forest. Puis elle revient prendre place et commenter pour moi ces toiles naïves, scènes quotidiennes aussi colorées qu’un jardin tropical. Nous ne tardons pas à être servis, heureusement, car nos bières en fût commencent à faire un peu de houle dans le paysage.
La crème de légumes porte bien son nom et vous fait un petit velours au palais. Chaude et appétissante, elle est d’un beau jaune orangé et le goût de la carotte y domine. Mis à part le fait qu’une petite pincée de sel s’impose, elle ressemble beaucoup à ce que j’aime, mais c’est mon invitée qui l’a choisie. J’ai pour ma part accordé la préférence à une terrine maison (foies de poulet, de porc et de veau). Je lui trouve bon goût, mais elle est aux quatre poivres – très généreusement cloutée de grains de poivre, ce dont plusieurs raffolent (sauf moi, je l’avoue). Je trie, donc je suis. Je proposerais bien un échange à mon invitée… si son bol n’était pas déjà vide. Pour elle, la suite se traduit par une escalope de poulet aux champignons, accompagnée de carottes en rouelles de fantaisie et d’un riz que l’on me dit au curry (la couleur y est, certes, mais pas tellement la saveur). Bonne et belle assiette, tout de même, et qui se mange sans autre escale qu’une petite gorgée de bière ici et là. Pour ce qui est des bières, j’en suis à ma deuxième.
Dans mon assiette creuse, les mêmes rouelles de carottes et une grosse pomme de terre accompagnent une copieuse paupiette de bouf braisée, tout cela dans un jus qui s’octroie ma sympathie du premier coup d’oil. Au cour de la paupiette, un cornichon; et, à travers les bouchées, du bacon au goût de jambon. Pomme de terre et carottes peuvent repasser, vive la viande. «Je crois, dit mon invitée, que tu préfères sérieusement ton assiette à la mienne…» Que répondre à cela? Elle voit bien comment je me sers de ma cuiller à potage pour puiser jusqu’à la dernière goutte de sauce. Après cela, au lieu du dessert (gâteau mousse aux fraises), nous sirotons chacun un café en dégustant des yeux la table d’hôte du soir: filet de saumon aux asperges, bouf au vin rouge, noisettes de porc au vermouth…
Restaurant-bar L’Escalier
6120, rue Saint-Laurent
Lévis (Québec)
Tél.: (418) 835-1865
Menu du jour: 7,25 à 10,25 $
Dîner pour deux (incluant taxes et boissons): 29,95 $