Restos / Bars

L’Échaudé : La force des sauces

La terrasse grouille de monde sous ses parasols verts clamant «Perrier». Un coup d’oil suffit pour embrasser la scène en vrac: chaises de treillis métallique blanc, vin rouge, lunettes de soleil, steak frites, légumes, verres de bière, blouses légères…

Des jardinières fleurissent le bord des hautes fenêtres ouvertes. En franchissant le pas de la porte, c’est d’abord votre propre image que vous apercevez, réfléchie par le grand miroir du fond. Puis vous inspirez à fond l’odeur jaillissant des cuisines pour souhaiter la bienvenue aux estomacs désouvrés. Le sourire engageant d’une serveuse vous conduit à votre table. Dans la salle à manger, presque aussi achalandée que la terrasse, deux gros bouquets de fleurs fraîches se mêlent au décor, ainsi qu’un imposant tableau de Rémy Clark. Plus imposant encore: le casier vitré, façon bibliothèque de couvent, exposant à la vue des amateurs des vins haut de gamme, dont quelques Château Mouton-Rothschild. Les murs sont d’un grenat discrètement poché. A droite, à gauche, partout, de grands miroirs s’amusent à vous titiller l’ego, et l’un d’eux aborde sans ambages la raison de notre présence: potage provençal ou asperges vinaigrette; pavé de flétan aux poivrons doux, salade de saumon fumé, steak frites, bavette à l’échalote, omelette aux crevettes, tartare de bouf.

Quant à mon invitée, elle n’a pas manqué de remarquer, dans la main d’un serveur, l’assiette de cavatappi au homard – «tire-bouchons» de pâtes mêlés à de gros morceaux de homard. Même à l’intérieur, le beau temps nous impose l’apéro: pour moi un Empire, fait au Québec; pour celle qui m’accompagne, un verre de Lillet, apéro bordelais demi-sec, à base de vin blanc et d’eau-de-vie de vin. Les premières gorgées nous font déjà tout le bien que nous nous souhaitons.

En filtrant un peu le bruit des conversations, on croit entendre chanter Cesaria Evora. Nous tergiversons un peu, pour la forme, avant de passer commande. Le va-et-vient des serveurs et des serveuses est un ballet gourmand qui me tient en haleine, car chaque plat sortant des cuisines appelle une question rituelle: «Est-ce le mien?» A l’une des tables, trois clients ont farouchement attaqué leurs steaks frites; à une autre, un petit bol blanc, en forme de soupière, fume d’abondance. Mon potage provençal vient lui aussi fumer à ma table, savoureux, goûtant bon la tomate et plein de légumes en brunoise (céleri, pommes de terre, etc.). Pour mon invitée, une petite salade verte, fraîche et apéritive – vu qu’il ne reste plus d’asperges vinaigrette.

En attendant la suite, la carte du soir nous tient compagnie et nous présente en premier lieu les «Suggestions du chef» allant des «tomates grappe» et crevettes à la pintade et son tian de légumes, en passant par l’échaudé de saumon au fenouil, le veau façon saltimbocca, le homard en gratin au parmesan, la fondue de St-Basile au jambon San Daniele, rouleaux impériaux de canard confit… Un peu plus loin, on s’arrête forcément un long moment aux aiguillettes de Canard goulu (sauce au vin rouge), aux tartares de bouf ou de saumon, à la tarte fine d’escargots à la tomate et fines herbes. Et nos assiettes s’amènent, guillerettes, chaudes, salivantes.

Nous avons l’un et l’autre les mêmes accompagnements: brocoli, chou-fleur, carottes (cuites dans un bouillon goûteux), ratatouille et des pommes de terre à la dauphinoise comme j’en ai rarement mangé à Québec. En face de moi, une fourchette allègre sonne le glas d’un pavé de flétan posé à même un coulis de poivrons – péché moelleux qu’on a presque honte de savourer en public. Devant moi, une longe de porc généreusement nappée de sauce brune où fourmillent des grains de moutarde. Bien que ferme, la viande se fait complaisante sous la dent. Je l’aurais tout de même préférée un tout petit peu plus cuite (j’en ai laissé deux ou trois bouchées beaucoup trop rosées à mon goût). Mais la sauce!… Elle se glisse tout doucement dans votre intimité comme un poème. Que désirer après cela, sinon un bon café? C’est ce que demande mon invitée, pour accompagner une glace au pralin à laquelle je succombe à petites cuillerées furtives.

Restaurant L’Échaudé
73, rue Sault-au-Matelot
Vieux-Port de Québec (Québec)
(418) 692-1299
Menu du jour: 8,95 à 14,95 $
Dîner pour deux (incluant taxes et boissons): 43,66 $