Restos / Bars

Delfino : La mer à boire

Toutes les bonnes choses commencent avec un bon repas. Mais, de nos jours, jouir de la bonne cuisine est presque devenu un péché ou un risque: trop gras ou trop salé, ou pire, trop cruel pour les animaux. Plus moyen d’être carnivore en paix. Le salut nous viendrait peut-être de la mer: le poisson contient très peu de cholestérol et peu de gens (au fond) se préoccupent des petites bêtes à nageoires.

Rien n’est donc plus sexy, plus sensuel qu’un poisson bien préparé puisqu’on peut en jouir la tête en paix. Dans le même ordre d’idées, rien n’est plus «drabe» qu’un poisson raté! Ainsi, cuisiner le poisson reste la chose la plus difficile en dépit de la simplicité que cela commande. Une cuisson minutieuse, des assaisonnements subtils et délicats, une présentation dépouillée lui conviennent plus que tout.

Dans un décor contemporain de très bon goût où le bois domine sous un éclairage tamisé qui distille une atmosphère chaude et légère, le restaurant Delfino propose une cuisine de la mer à une clientèle plutôt bien fringuée et friquée. Cependant, les patrons d’origine méditerranéenne ne font pas de fixation sur le terroir qu’ils connaissent. La carte en tient bien compte, évidemment, mais les saveurs et les techniques de cuisson au beurre du Nord de la France, les poissons de mer froide et de rivières et les pâtes y ont aussi leur place. Ce qui étonne encore dans la cuisine très soignée et rigoureusement précise du chef, est son humilité. Une humilité qui touche car le chef s’efface devant ses poissons qu’il ne décore et ne déguise pas, et qui, en revanche, révèlent aisément leur indiscutable fraîcheur.

Deux poids ou deux mesures selon l’appétit, on peut choisir une table d’hôte qui compte quatre service ou la carte qui propose un choix de poisson grillé, poêlé ou en sauce. Le repas se déroule harmonieusement et dès les hors-d’ouvre d’olives kalamata, d’hoummous et de taramosalata, le classique grec, une pâte lisse faite d’oufs de morue et de mie de pain émulsionnée à l’huile d’olive, on comprend que tout est composé au millimètre pour le palais mais aussi pour l’oil.

Un mesclun de jeunes laitues à peine nappées d’huile de noix et de vinaigre de vin et une assiette de légumes grillés – des courgettes, des aubergines, des poivrons et des champignons – tiennent presque du cliché méridional mais sont réalisés avec un soin absolu. Le mérou grillé aux épices cajuns, ou l’omble de l’Arctique poêlé sobrement dans du beurre clarifié sont rosés à l’arête et donc encore bien moelleux. Peu importe ce qu’en pensent les Américains et leur phobie des bactéries, c’est encore la meilleure et j’ajouterai la seule façon de cuire le poisson. Ils s’accompagnent d’asperges et d’épinards, parfaitement cuits à l’étuvée (preuve que cette forme de cuisson, quand elle est maîtrisée, peut donner de bons résultats), et de riz basmati ou de frites, au demeurant fort bonnes. Étrange, tout de même, car j’imagine difficilement de manger des frites avec du poisson, bien que la pratique soit courante en Angleterre… et assez désastreuse. Les desserts, crème caramel ou mousse au chocolat, sont un peu en reste des bonnes idées – on ne peut pas tout avoir – mais ils rattrapent le coup en étant délicieux.

A une époque où les restaurants de poisson s’offrent encore le luxe de nous étouffer par des additions vertigineuses – c’est vrai, le poisson coûte de plus en plus cher -, il fait bon venir dans une maison qui nous épargne la douloureuse expérience en nous proposant quand même une carte dont les produits varient vraiment au gré du marché. C’est un gage absolu de fraîcheur mais surtout de sérieux. La cave est modeste mais bien pourvue en petits crus, et le service fait avec zèle et discrétion. Comptez environ 70 $ à deux, taxes, service et une demi-bouteille d’Aligoté compris.

Delfino
1231m avenue Lajoie, Outremont
277-5888

Amuse-gueule:
L’ITHQ, vénérable institution gouvernementale de gastronomie, vient de célébrer son trentième anniversaire. Comme tous ceux qui atteignent cet âge «ingrat», c’est aussi l’âge de la remise en question, le moment de faire ses comptes et de remettre de l’ordre dans la cabane. Ce que font présentement les dirigeants de cette grande école de cuisine de Montréal. A ce sujet, ils ont refait le décor de certaines salles à manger, remis des couleurs, égayé un peu ce qui était une bien austère institution qui célèbre pourtant l’art de la table sous toutes ses formes. Et préparé un programme d’activités pour la rentrée de septembre. On invite déjà tous les anciens de l’ITHQ – tous ceux qui y ont travaillé ou étudié, qu’ils habitent ici ou ailleurs – à une grande soirée de retrouvailles qui aura lieu le 17 novembre prochain. Toutes ces personnes qui ont obtenu ou décerné des diplômes, peuvent contacter M. Bernard Légaré au 282-5104.