Restos / Bars

Dino : Et vogue le navire…

Avec les grandes portes ouvertes sur la rue, son parquet et ses boiseries de bois blond, son clair-obscur, ses tissus couleur crème, et la grande statue qui trône au milieu, ce beau restaurant baptisé Dino ne trahit pas le cadre extérieur, celui de la frénétique rue Sainte-Catherine Ouest. L’intérieur évoquerait celui des salles à manger des grands paquebots transatlantiques; il y a quelque chose de tout à fait réussi dans ce kitsch hollywoodien, à la fois grandiloquent et serein. Je parie que l’architecte a aimé Titanic!
Cela étant, il y a des restaurants dont on se dit tout de suite «ça sera génial», d’autres où la catastrophe est prévisible, et quelques-uns qui se situent entre les deux. C’est un peu le cas de ce Dino. Sous prétexte d’attirer une foule branchée, on laisse passer des détails essentiels. Car si la cuisine harmonieuse et aux saveurs plutôt bien campées a du style, si la carte des vins est étudiée et l’ambiance, assez conviviale, le service est fait en catastrophe par une équipe qui ne sait pas où donner de la tête et qui la perd sans cesse tout au long du repas. On nous accueille froidement, le serveur tient la bouteille de vin entre ses cuisses (eh! oui…) pendant qu’il fait sauter le bouchon avec un plop! sonore, il verse le vin comme s’il s’agissait de Coca-Cola, en met sur la nappe et sur ma chemise; un autre s’accroche dans les manches des clients, et, pendant ce temps d’autres encore, accoudés au bar, semblent méditer sur l’assemblée de dîneurs, du reste assez restreinte.

Il faut savoir qu’en restauration le service comptent presque davantage que la cuisine et qu’il constitue la carte de visite, le passeport, l’entrée en matière d’une bonne maison. En ce sens, autant l’accueil que l’attention aux détails compte dans la profession. Manifestement chez Dino, ce soir-là, l’équipe ignorait ces règles de base.
Heureusement la cuisine du Breton Jean-Louis Kergoat, anciennement du Mas des Oliviers, empêche ce beau navire de faire naufrage. Il était minuit moins cinq.

Même si la carte ne présente pas de trouvailles, elle s’attache, au prix de quelques infidélités au terroir à varier le menu et à diversifier les plats. Elle a aussi le mérite de proposer une cuisine solidement campée dans les traditions classiques de la cuisine méditerranéenne et fait preuve d’une excellente maîtrise, de l’entrée jusqu’au dessert. A la table d’hôte (autour de 20 à 25 $ pour trois service) le velouté aux asperges, délicatement lié à la crème, est simple et goûte l’asperge, la soupe de poisson à la provençale, avec sa rouille faite maison, déborde de poisson cuit dans un bouillon tomaté dans lequel je détecte une note légèrement pimentée. En plat, une pizza tout à fait classique aux tomates, poivrons, oignons, câpres et olives, – j’ai eu peur de m’aventurer dans les choses «trop» garnies – m’a séduit par la qualité aérienne de la pâte et la fraîcheur des ingrédients. Et, bien que le prix des pizzas fasse sursauter (certaines sont à 19 $) le chef a montré qu’il savait travailler les combinaisons, et les garnitures ne sont ni lourdes ni irréfléchies. On discerne aussi le sérieux dans les pappardelle alla lepre, pasta classique du nord de l’Italie qui marque souvent la saison de la chasse. Dans sa forme originelle, ces larges rubans devraient être garnis d’un ragoût de lièvre, remplacé ici par du lapin. Mais l’adjonction de cette viande blanche longuement braisée au vin rouge est tout à fait succulente. En conclusion, une crème brûlée, à peine roussie, ne mérite pas encore son qualificatif de «brûlée» bien que la crème soit veloutée et bien parfumée.
Dommage que le service jette de l’ombre sur la qualité de la cuisine et le beau décor, mais le service, ça se forme ou ça se change… un bon cuisinier ça se renouvelle difficilement. Comptez environ 80 $ à deux avec une bouteille d’un petit cru de pays, facturé à prix assez vif, les taxes et…. le service!
Dino
996, Sainte-Catherine Ouest
878-9811

Amuse-gueule:
Juste pour s’amuser de l’originalité de nos voisins du sud quand il s’agit de toponymie, sachez qu’ils ne se sont pas uniquement inspirés des grandes capitales du monde entier pour nommer leurs villes et leurs villages (pensez à Paris, Texas, ou Rome, NY), mais qu’ils ont aussi fait des incursions dans le monde de la cuisine. Ainsi, le magazine Eating Well nous apprend qu’il y a un «Tomato, en Arkansas» un «Hot Coffee, au Mississippi» un «Toasts and Butter, en Caroline du Nord» et un «Two Eggs, en Floride». C’est tout de même plus appétissant que «Hot Kiss, au Colorado». Et puis, non, ce n’est pas une blague!