Il faudrait faire exprès pour manquer cette curiosité architecturale. Les grandes ailes jaunes en treillis de bois tournent en permanence, créant l’illusion d’un moulin à vent. On ne découvre encore qu’une partie de l’édifice orange et bleu, sa «tour» percée de fenêtres et, non loin, sur la droite, les fines herbes prolifèrent dans un empilement asymétrique de cylindres en terre cuite. C’est par ce côté-là que nous pénétrerons dans le restaurant qui nous accueillera pour souper, un peu plus tard. L’immense marché couvert du Père Nature, grouillant de monde, occupe l’autre versant de l’édifice. La qualité vous saute aux yeux, ce qui n’est pas seulement une façon de parler. Et vous n’y faites pas deux pas sans vous arrêter – pour les innombrables raisons que se donnent les gourmands d’exister: viandes, poissons, pains divers, pâtisseries, charcuteries, huiles fines, fruits et légumes, plats cuisinés, fromages et autres produits laitiers. Sans que j’aie goûté à rien, je glousse de plaisir en me promenant dans les allées. De temps à autre, mon amie me saisit la main, soupire et me coule un regard qui doit ressembler au mien. Nous nous arrêtons un moment, près d’un comptoir réfrigéré, pour lire le menu du restaurant et nous préparer un peu à ce que nous réserve la soirée. Buisson de crevettes de Matane et son sorbet à la tomate et au basilic; feuilles de truite fumée sur leur lit de julienne de rhubarbe à la menthe, potage glacé au concombre: ce ne sont là que les entrées du menu économique «Saveurs d’été». Se profilent ensuite aiguillettes de cerf frais (et coulis de fraises au poivre vert), filet de doré de mer poêlé (avec velouté à l’avocat et au citron), suprême de volaille et grosses crevettes (à la crème de poivrons et brunoise de courgettes), desserts, café, thés, infusions. Qu’importe l’impatience dont nous meublons les heures suivantes! Nous voici dans l’une des salles du Père Nature. Y compris la «tour» qui me fait face, elles sont toutes les trois pleines à craquer. Un personnel stylé se déplace avec aisance et promptitude dans un décor raffiné où se dressent de vieilles armoires québécoises. Au fond, derrière moi, tout un pan de vitrail égayé par la lueur des petites lampes posées sur les tables. A ma gauche, sur le mur, on voit se déployer un éventail stylisé fait de miroirs en forme de godrons. Et tournent sous nos yeux, comme les ailes du moulin, les pages salivantes d’un menu étourdissant et celles d’une carte des vins qui comblerait bien des exigeants. Un Riesling «Hugel» 1996 succède à nos camparis, mais seulement après bien des velléités du genre langoustines grillées au poivre noir, nage de St-Raphaël et julienne de saumon fumé; duo de saumon frais et omble de fontaine à la crème et au vin blanc; noisette d’agneau frais du Québec en croûte de sel, jus au thym frais; ballottine de crabe d’Alaska au chou de Savoie et à l’orange; rosace de caribou de Nunavik au vinaigre de framboise et aux petits fruits rouges; filet mignon de bouf «premier choix» rôti, sauce agenoise (aux pruneaux) ou croustade de ris de veau de lait braisé, sauce au porto vintage. La bisque de crustacés au pastis nous a également compliqué la décision, au même titre que le gratiné d’oignon au vieux cheddar. Nous soupons frais et bon. Nous soupons joyeux. Sa salade César, mon amie la fait suivre d’une croustade de mini-langoustines et crevettes de Matane et asperges vertes. Histoire de gérer l’espace disponible, je me prive de la soupière du jour (crème d’épinards) qui aurait fait le pont entre mon entrée (fricassée de ris de veau de lait et saumon fumé à la crème et à l’estragon) et la «Suggestion du chef»: assiette féerique de gros pétoncles en corail et chanterelles. Malgré cela, j’envie. J’envie un peu celle qui mange en face de moi, livrée à un plaisir d’autant plus intriguant qu’elle ne dit mot et se contente de sourire. Dans son assiette, des igloos de chou de Savoie abritent de copieuses bouchées de crabe d’Alaska – mais tout cela disparaît peu à peu, emporté par des vagues de Riesling. «C’était terrible!» dit-elle enfin, longtemps après. Je lui réponds «bonne fête», et nos desserts entrent dans la pièce – gâteau liégeois et tarte au sirop d’érable -, amenés par une brigade de serveurs chantant «Joyeux anniversaire!» y
La Table du Père Nature
10735, 1ère Avenue Est
Saint-Georges, Beauce (Québec)
Téléphone: (418) 227-0888
Menu «Saveurs d’été»: 19,95 $
Table d’hôte: 21,50 à 29,75 $
Souper pour deux (avant boissons, taxes et service): 60,25 $