Un jeudi tout inondé de soleil me prend aujourd’hui par «la main du ventre», comme dit Louis de Funès, et m’amène à Beaupré. Je découvre à mon tour la table tant vantée de La Camarine: une cuisine irréprochable qui s’offre, saine, belle et goûteuse, dans de superbes assiettes à motifs colorés. Quelques ombres, toutefois, assombrissent mon souvenir; je me demande encore si elles constituent l’habitude ou l’exception. Un sourire nous accueille sur le seuil de la grande salle à manger au décor simple et chaleureux, agrémenté de plusieurs tableaux. Des clients achèvent déjà leur repas ou composent leur menu. Nous choisissons de manger sur la terrasse. A peine suis-je assis que ma vue s’élance, s’empêtre dans quelques obstacles contre lesquels on ne peut rien, et va se perdre du côté des montagnes grisonnant dans le lointain, par-delà l’île d’Orléans. Je reviens à la proche réalité, mon invitée s’étant déjà fait une idée: raviolis aux trois fromages, salade de betterave jaune aux amandes et, pour le principal, du flétan de l’Atlantique mariné accompagné d’un sauté de légumes de saison. J’incline moi aussi pour les raviolis, que je ferai suivre de côtelettes d’agneau en croûte de moutarde, risotto crémeux aux chanterelles. Des problèmes de gorge m’interdisant pour un temps le rouge, je choisis, tout comme mon invitée, un verre de rosé. On vient remplir nos verres de vin à partir d’une bouteille à peine ouverte: j’aurais beaucoup apprécié qu’on nous en verse un peu afin que l’un de nous y goûte. Mais notre serveur semble pressé, très pressé; il reste courtois et le demeurera jusqu’à la fin, certes, mais l’impression d’«urgence» se confirmera de minute en minute. De même, ses réponses à mes questions se feront de plus en plus laconiques. En attendant d’être servis, nous parcourons la carte du soir, ramenée en fait à une table d’hôte au choix de mets restreint, mais fort alléchant. Cela se lit comme on chante une berceuse: parfait de foie blond, foie gras de canard fumé avec salsa de pomme et noix de Grenoble rôties; poêlée de pétoncles du Havre-Saint-Pierre; suprême de pintade au riz sauvage, compote de chou rouge et wonton frit de gésiers confits… A quelques mètres derrière moi, notre serveur s’empresse et s’active auprès d’un couple qui mange, parle, commente et prend des notes. Et nos entrées arrivent, parfumées, salivantes, amenées par le chef lui-même – posé et imposant, le regard avenant. L’instant d’après, les avis s’accordent des deux côtés de notre table: farce appétissante, d’un goût fin; raviolis d’une rare délicatesse de texture. De chacune de nos assiettes s’élève une courte tige pourvue de petites feuilles arrondies. «Ce sont des feuilles de roquette, monsieur», affirme le serveur à qui je demande s’il s’agit de plants de petits pois – qui ont cet aspect-là, dans mon micro-jardin, au moment de fleurir. «Mais… habituellement, les feuilles de roquette…» On ne me laisse pas terminer; la réponse claque, péremptoire: «C’est parce que vous avez mangé des vieilles!» Les certitudes rudement ébranlées, je me promets une visite urgente au marché, histoire de me re-confirmer que la roquette a plutôt une saveur piquante, que ses feuilles sont autres et fixées différemment. En attendant, on doute de ses propres sens, même quand arrivent les plats suivants. Malgré ce que j’en ai précédemment dit à notre serveur, il me suggère un verre de rouge; je récidive avec le rosé. Nouvelle bouteille à peine ouverte, et l’on ne me propose pas de goûter. Je saute néanmoins sur l’occasion pour demander à voir l’étiquette. Château Corbières… je crois. Et notre serveur se dépêche une fois de plus d’aller rejoindre l’autre couple (maintenant occupé à photographier). Ils se parlent de montages spéciaux et d’une visite des cuisines. Mouillées de sauce brune et légèrement croûtées de moutarde, les côtelettes d’agneau jutent sous la dent, rosées, tendres, succulentes. Elles s’accompagnent d’un gros oignon rouge farci de savoureux risotto piqué d’une branche de thym – me dira-t-on que c’est autre chose? Je succombe de quelques bouchées au flétan servi à mon invitée. Une sauce au léger goût de gingembre rehausse opportunément la chair cuite à point. Au moment du dessert, nous nous intéressons un peu à la «terrine de sorbets maison». Quelles saveurs? «Il y en trois et elles viennent toutes ensemble», nous apprend notre serveur sans autre précision. Mon invitée et moi optons donc pour le soufflé chaud à l’érable – léger, moelleux, et aussi sucré qu’on peut l’espérer quand tout régime est reporté au mois prochain. Le couple qui nous intrigue (parce qu’il obnubile tant notre serveur!) a déjà quitté la terrasse: d’autres photos à prendre. Mon invitée se renseigne: des journalistes dépêchés par une revue. Tiens donc!…
Restaurant La Camarine
10947, boulevard Sainte-Anne
Beaupré (Québec)
Tél.: (418) 827-1958
Table d’hôte: 39,95 à 47,95 $
Menu du jour: 15,95 $
Dîner pour deux (incluant boisson et taxes): 59,13 $