La cuisine d’hôtel m’enthousiasme rarement. Trop froid, trop formel, trop straight! Ces grandes salles à manger sont souvent administrées en concessions et font peu de profits. Par conséquent, les standards de qualité y sont très irréguliers. De plus, ces restaurants sont souvent ultra-syndiqués avec le résultat qu’une femme de chambre se retrouve souvent serveuse ou, pire, cuisinière. Il y a heureusement des exceptions; les grands hôtels de luxe comme le Westin, le Ritz, et le Reine-Elizabeth ont des tables remarquables et des brigades solides. Et, plus récemment, le Best Western, qui a ouvert un formidable restaurant libanais, le Zawedeh et un petit café sympathique, Olio, où l’on sert des sandwichs et des espressos à une clientèle d’étudiants.
La grande salle à manger du Zawedeh ne s’est pas refait une beauté, bien qu’elle ait changé de nom et de style de cuisine. Dommage, car l’ambiance pépère lui nuit. Ce décor me rappelle les halls d’hôtel de villes américaines de province: sans caractère, sans couleur, d’une contemporaine froideur, totalement dénué d’attraits et de confort, et au milieu duquel on a installé une énorme télé (en marche) et une pianiste qui s’évertue à couvrir de musique le bruit d’une émission sportive.
La surprise – et c’en est une – se trouve du côté de la cuisine. Je n’ai que du bien à dire des généreux mezze que l’on sert habituellement en guise de hors-d’ouvre, mais qui ont constitué notre repas ce soir-là. On nous dit d’ailleurs que les clients de l’hôtel – des Américains surtout – préfèrent les hamburgers ou les steaks et négligent ces remarquables préparations du chef. Tant pis pour eux mais pas pour nous. Le hoummous, la purée de pois chiches (débarrassés de leur peau amère et un peu dure) est ici onctueux et préparé avec soin. Cela se traduit par l’utilisation d’une excellente huile d’olive, contrairement à toutes ces chaînes de fast-food libanais qui ont poussé partout en ville et qui mettent du vinaigre au lieu du jus de citron, et de l’huile de maïs au lieu d’olive. Venez goûter la différence entre l’exquise purée d’aubergines fumées mêlée à de la pâte de sésame grillé et d’ail, et les maigres mousselines de chaînes. La salade fattouch, parfaite pour la fin de l’été, mêle des tomates fraîches et surtout très mûres, du concombre, de l’oignon, de l’ail, et du pain à peine détrempé, nappé d’huile d’olive et d’ail. Ou le taboulé, devenu un lieu commun partout ailleurs mais ici interprété selon la tradition, le persil coupé à la main, le blé concassé encore un peu craquant, sans oignon et surtout sans ail, à peine garni de dés de tomates. Le Kibbe Nayé, la version levantine du tartare, m’apparaît en tout point supérieur à la version parisienne: ici on épice subtilement la viande d’agneau, on sale bien, on malaxe parfaitement avec du bulghur jusqu’à ce qu’on obtienne une pâte homogène; et le résultat est un plat magnifique, à la fois exotique et rassurant. On propose aussi bien sûr un bon choix de grillades mais l’assortiment de cinq entrées (autour de 7 $ chacune) suffisent largement.
Même les douceurs – une crêpe parfumée à la fleur d’oranger, et une sorte de blanc-manger paradisiaque qui mêle des parfums subtils d’eau de rose et d’agrumes – sont sans faille. Idem pour le service diligent (qui tutoie allègrement cependant) qui s’occupe de tout.
Heureusement que cette excellente cuisine nous fait oublier l’atmosphère sans âme et nous transporte aisément vers une Beyrouth opulente. Et cela sans l’addition faramineuse que l’on serait en droit d’envisager puisque un repas pour deux, composé de mezze, d’une bouteille de rosé, taxes et service inclus, atteint à peine les 70 $. A mettre absolument dans votre carnet de bonnes adresses.
Zawedeh
1015, rue Sherbrooke Ouest
288-4141
Amuse-gueule:
Voici justement quelques nouvelles du côté des autres grands hôtels. Au Ritz pour le reste de l’été, la maison Philippe Rothschild (ceux des grands et petits Moutons) propose de faire connaître ses crus les plus populaires. C’est l’occasion de découvrir la palette complète de cette grande maison bordelaise, couplée à un menu dégustation de plusieurs services dans lequel chaque plat est accompagné d’un vin de la maison Rothschild. Conçu par le sous-chef exécutif Gilles Saint-Hilaire et le nouveau chef du Ritz, Gérard Bahon. Jusqu’à la fin de l’été.
Pendant ce temps, le Reine-Elizabeth lance une promotion des jeunes chefs québécois et de produits du terroir d’ici appelé Le Québec dans l’assiette. Il s’agit d’honorer un peu la cuisine régionale québécoise – et par cuisine régionale, entendez une cuisine qui utilise les produits d’ici mais qui n’a plus grand-chose à voir avec la cuisine traditionnelle. Une dizaine de chefs de l’extérieur de Montréal (entre autres Marie-Sophie Picard du resto Aux 4 Temps, à Gaspé, peut-être l’une des meilleures tables de Gaspésie; Jean Soulard du Château Frontenac à Québec; Éric Bertrand de l’Auberge des 3 Canards, de Pointe-au-Pic) viendront présenter les spécialités de leurs maisons respectives, jusqu’au 29 août. Les dîners sont proposés au coût de 54 $ par personne, comprenant les taxes et le service.
Dans le dernier numéro du magazine américain Food & Wine, la bible des tendances culinaires chez notre voisin – et Dieu sait si son influence de ce côté-là est grande, question cuisine – dresse la liste des vingt capitales gastronomiques du monde entier, et Montréal est la seule ville canadienne à y figurer aux côtés de Paris, Londres, New York, Bangkok, Rome, Tokyo, Buenos Aires et Singapour!