Ponctuée du tintement des ustensiles, une rumeur fluctuante nous parvient de la salle à manger. Le temps qu’une table se libère, nous attendons tout à côté, dans un boudoir cossu tenant lieu de cigar room – «cigarium» serait plus joli, non? Vieux scotches et vieux portos font partie intégrante du décor, au même titre que les trophées de chasse – gibier de poil et de plume – évoquant quelque garçonnière de gentilhomme. Murs tapissés de jaune or et de bleu, meubles lourds et profonds: on s’y éterniserait! Je lève mon verre de campari soda à l’imposant panache d’orignal qui surplombe le foyer de marbre blanc. Puis je le choque doucement contre le pineau sur glace de mon invitée: vive les vacances! Elle sourit et se replonge dans un guide gastronomique trouvé là. J’ai presque fini de feuilleter un numéro d’Aficionado quand on vient nous chercher. Notre destination? La grande salle feutrée où cela sent bon la chère promise à nos faims impatientes. Presque toutes les tables y sont occupées: plusieurs couples, des groupes de quatre, six ou huit personnes. La nôtre se trouve non loin des portes menant aux cuisines. Les serveurs et la serveuse se succèdent ici ou là, stylés, attentifs, courtois. Il me suffit de pivoter un peu sur la gauche pour observer un instant, à travers l’ouverture vitrée du mur, une petite brigade d’uniformes blancs affairée à concocter ce que la carte et la table d’hôte formulent en termes de saumon fumé, sauce grelette à la concassée de tomates; tartare de pétoncles à la gelée d’avocat et coulis de betterave; assiette de cochonnaille et sa garniture gourmande; hure d’esturgeon et son gaspacho épicé… Sur le point de céder à la marinière de coquillages et crevettes au muscat, j’aperçois sur le mur d’en face quelques oiseaux empaillés. Je vote illico pour un baluchon de pintade au fromage de chèvre, échalote et câpres, vinaigre de pinot noir. Pour la suite, j’hésite encore entre le filet de mérou (compote de carottes et huile d’herbes), la longe d’agneau (crème de moutarde et purée d’artichaut), l’aiguillette de pintade (grains de maïs et sauté de chanterelles). Mon invitée en profite pour commenter, admirative, la carte des vins – ceux qui nous font rêver et ceux que nous pouvons nous offrir. Nous coupons court au lyrisme quand un serveur vient pour la nième fois s’enquérir de notre choix. Malgré l’affluence, mon baluchon ne se fait pas trop attendre. Je lui rends la même politesse. Mon invitée m’y aide de bon cour, elle qui n’a pas pris d’entrée. Nos gourmandises s’accordent à merveille, comme le goût du chèvre chaud avec celui des morceaux de pintade confite. On lui amène un peu plus tard une «marmite de notre marché», potage fumant et de bon goût – que j’aurais dû prendre, moi aussi, au lieu du granité de saison (au vin rouge et framboises) qui me fait tiquer. J’y renonce à la deuxième cuillerée en raison d’une étrange (quoique discrète) saveur d’oignon ou de ciboulette, je ne sais. On nous confirme qu’il contient en effet «un petit peu d’échalote». Je me rattrape hardiment avec un dos de saumon et gratin d’endives à l’orange: l’assiette est joliment présentée, sans excès de fleurs ou de feuilles, et la sauce crémeuse au goût d’agrumes, qui mouille tout, laisse un peu de bonheur là où elle passe. En face de moi, je retrouve un sourire que la faim avait effacé. Une «caille royale aux baies sauvages» en est seule responsable, n’en déplaise à mon ego: chair juteuse, à la fois tendre et ferme; sauce un peu sucrée, légèrement caramélisée, longue en bouche. J’y retourne, d’ailleurs, avec une assiduité digne du Guinness. Et nous vous arrosons cela d’un gouleyant compromis, en l’occurrence un bordeaux rosé dont nous étirons les bienfaits infiniment. Comme d’habitude, nous sommes parmi les derniers à quitter l’endroit. Une croustade aux pêches m’a retardé. Dessus, une moelleuse glace à la lavande fondait lentement pour se mêler, tout autour, à un «coulis de framboises et brunoise de kiwi». Mon invitée avait elle aussi ses raisons: un cône de chocolat mi-amer surmonté d’un petit sombrero de sucre et de noisettes.
Manoir des Érables
220, boulevard Taché Est
Montmagny (Québec)
Tél.: (418) 248-0100 et 1-563-0200
Table d’hôte: 32,95 à 44,95 $
Souper pour deux (incluant vin, taxes et service): 152,73 $