Restos / Bars

Auberge des Aboiteaux : Les jeux d'Ibères

On nous avait parlé de cette cuisine régionale où percent de temps à autre quelques accents d’Espagne. Ainsi, au fil des jours, Saint-André-de-Kamouraska avait fini par s’imposer à nous comme une halte obligée. Si mon amie, n’importe où, déniche toujours quelque chose à visiter – musée ou galerie d’art -, je m’intéresse pour ma part à un type particulier de meuble qui s’appelle «table», et précisément à sa plus noble fonction: accueillir des mangeurs. Dès lors, sa visite de «la Vieille École» coïncide parfaitement avec la sieste apéritive que je me tape à poings fermés en attendant l’heure du souper. Sur le coup de dix-neuf heures, nous longeons la longue allée bordée de pommiers avec, tout au fond, une grande maison précédée d’une galerie de bois dont nous gravissons bientôt les marches. Il ne semble pas y avoir affluence. On nous accueille avec un grand sourire. Le nôtre se change vite en grimace: nous tombons sur la seule journée de congé du personnel employé aux cuisines. La panique doit se lire dans mes yeux, car celui qui nous a reçus s’empresse de passer quelques coups de fil pour nous trouver une autre… table. En partant, nous le saluons d’un cordial «A demain!» et, le lendemain, nous nous retrouvons comme de vieilles connaissances. L’apéro nous est servi dans un salon à l’ambiance chaleureuse: des meubles lourds et confortables, un foyer, quelques tableaux et une imposante bibliothèque. Dehors, un couple, arrivé comme nous en avance, se promène lentement dans le verger. Nous apercevons, par la même fenêtre, le chef qui s’en va cueillir elle-même ses fines herbes. «De la fraîcheur avant toute chose…», dis-je, paraphrasant Verlaine. Car c’est un peu le jardin de l’auberge que nous humons à pleins poumons, un peu plus tard, devant nos bols fumants de velouté aux légumes à l’ancienne, fait à partir d’un fond blanc d’agneau et décoré d’une petite fleur de crème fraîche. Un poème, que ce potage! Brûlant, suave, consistant – et encore plus goûteux quand on y ajoute une pincée de sel (condiment dont le chef ne semble pas abuser). Il se mange à petites cuillerées prudentes et pensives, sur fond de salsa bien rythmée, nous laissant tout le temps d’apprécier le décor simple et agréable de la salle à manger carrelée de mosaïque. Trois murs blancs et un rouge percés de grandes fenêtres. Les tables s’habillent de tissus à motifs colorés. Ici et là, des collections de cafetières et de pichets jouent du coude sur les étagères. Dehors, le jour décline et laisse quelques rougeurs sur le fleuve, de l’autre côté de la route. Beaucoup plus près de nous, un prunier septuagénaire (et encore prodigue) jaillit d’une ouverture pratiquée à même le plancher de la galerie ceinturant la maison. Tout ce la vous fait une âme de vacancier. Le Cabernet-Sauvignon y est aussi pour quelque chose, au même titre que les odeurs de mijote batifolant hors des cuisines. La salle à manger s’est presque remplie tandis que mon amie et moi voguions sur les flots du même rêve. C’était après le melon abrité sous de fines tranches de prosciutto, après les farfalle mêlées de crevettes dans une sauce rosée. Nous accueillons d’un soupir souriant nos plats de résistance. Rien d’espagnol au menu, ce soir: paëlla et autres ibériades n’entreront en scène que plus tard, mais nul n’y perd au change. La «Marmite de la mer» m’avait tenté, avec ses pétoncles, crevettes, flétan, merlu… mais je me régale plutôt d’une caille tendre et dodue, nappée de sauce aux chanterelles (plutôt claire, mais bien serrée) où perce un léger goût de lardons. Quant à mon vis-à-vis, légèrement moustachue de sauce brune, elle a juré la perte d’une côtelette de veau aux cinq poivres dont elle ne me donne des nouvelles qu’à très petites doses très espacées. Bien après nos dernières gorgées de vin, il lui reste encore un peu d’appétit, en tout cas suffisamment pour exterminer un clafoutis aux prunes. J’ai presque terminé mon gâteau aux poires pochées quand se présente à moi un deuxième dessert, ou plutôt celui que j’avais commandé – le gâteau était une erreur. Qui s’en plaindrait? Je me livre donc sans scrupules aux bienfaits d’un soufflé glacé aux bleuets, sans quitter des yeux la lune qui se dessine dehors, toute déchiquetée, à travers les branches du prunier.

Auberge des Aboiteaux
280, route 132 Ouest
Saint-André-de-Kamouraska
Québec (Québec)
Tél.: (418) 493-2495
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 74,75 $