Un vent plus que frisquet nous presse de nous ruer à l’intérieur, mais la jeune fille chargée de l’accueil tient absolument à tout nous expliquer et à tout lire pour nous sur le trottoir: les spéciaux, l’usage des coupons-rabais, les avantages, les restrictions, vraiment tout! Peut-être s’imagine-t-elle que nous ne comprenons pas le français, vu la flopée de touristes anglophones qui ont choisi de souper ici ce soir. Admettons. Mais on peut quand même avoir froid dans n’importe quelle langue, non? Fort heureusement, une fois franchie l’entrée du restaurant, un paso doble enfiévré nous accueille, ¡olé! Il fait plus chaud et cela sent bon, très bon, avec, en filigrane (si l’on peut dire), un léger parfum de Pernod. Sans cesser de jouer, l’accordéoniste nous adresse un sourire de bienvenue et quelqu’un d’autre nous reçoit avec empressement. Le service sera à l’avenant et se révélera d’ailleurs irréprochable. Au milieu de la salle à manger, on voit soudain monter de hautes flammes devant un couple déjà ému par ses crêpes Suzette en devenir… Nous voici bientôt assis dans un angle de la pièce. Une plante verte laisse tomber son feuillage en guirlande devant chaque fenêtre. Au fond, une imposante poêle en cuivre luit comme une lune entre deux grands tableaux sur le mur de pierres grises. On parle anglais à toutes les tables, tout bas ou à mi-voix. L’allemand s’y ajoutera un peu plus tard, pas très loin de nous, et le musicien en profitera pour y aller de son Edelweiss. Et tout le monde mange franco-italien, si j’en juge par la carte qui nous propose soupe à l’oignon gratinée, aubergine maison, fondue parmesan, pasta e fagioli, cuisses de grenouilles à l’ail ou à la Diavolo (sauce tomate épicée), canard à l’orange, crevettes aux fines herbes, tortellini, lasagne, filet de porc en croûte ou au marsala, carré d’agneau, fruits de mer, salades. Quand mon invitée relève la tête, je suis certain qu’elle peut réciter par cour la carte qu’elle vient de refermer. Je lui semble perplexe? Quelques mots suffisent pour traduire mon état d’esprit: avec le nombre de plats italiens ou italianisants qui investissent en force presque tous les établissements de la région, on a parfois l’impression de se répéter quand on veut commander. Elle pouffe et me suggère d’aller au «menu gastronomique du Cavour», qu’elle me détaille illico comme on récite une comptine: prosciutto avec melon et saumon fumé; bisque de homard; filet de saumon au vinaigre de framboise; filet de bouf Wellington; gâteau framboises et chocolat. Mais je me rabats sur autre chose, combinant carte et table d’hôte, soit la bisque de homard et l’«assiette à la Cavour» qui s’annonce viandeuse à souhait. Elle hésite un moment entre la fondue parmesan et la salade du chef. Cette dernière l’emporte – je l’aurais parié! Des tranches de poivrons verts se mêlent aux feuilles de laitue Boston semées de champignons tranchés et de parmesan; radicchio et tomates bordent l’assiette. Fumante, onctueuse et de bon goût, ma bisque ne mérite aucun reproche. On ne saurait en dire autant du plat servi peu après à mon invitée: pas mal, certes, mais ce n’est pas tout à fait cela, un poulet basquaise; les ingrédients y sont, mais sans avoir subi (en tout cas pas ensemble) cette lente cuisson qui en aurait fait un délice. Et, en guise d’accompagnement, des pommes de terre, de l’aubergine et une épaisse tranche de courgette farcie. Faute de riz, cela aurait mérité au moins quelques pâtes – ce que mon invitée n’hésite d’ailleurs pas à commander. De mon côté, une grande assiette ovale livre à ma merci une tranche de filet mignon (pas mal), du veau parmigiana (pas mal), un filet de saumon à l’estragon (assez bon) et deux côtelettes d’agneau grillées qui s’avèrent une réussite. Je goûte à peine au gâteau que mon invitée choisit enfin pour conclure cette soirée somme toute moyenne, mais que nous avons peut-être eu tort de souhaiter plus… enlevante.
Restaurant Le Cavour
44, rue Saint-Louis
Québec (Québec)
Tél.: (418) 694-0417
Menu du jour: 6,95 à 11,95 $
Table d’hôte: 21,50 à 28,25 $