Restos / Bars

Le Continental : Maître en saveurs

Un de ces jours gris crevassés de soleil: le ciel crachine, il fait frisquet, l’automne se porte bien. Le moral irait mieux si l’estomac ne manquait pas un peu d’affection. C’est dans un tel état d’esprit qu’on joue parfois avec toutes les adresses de restaurants glanées un peu partout. Pour tomber pile sur Le Continental. Je l’avoue: j’ai un peu triché. A peine. Disons que je l’avais depuis un certain moment dans le collimateur. La dernière fois que j’y ai mis les pieds (mais non, pas dans le collimateur!), c’était aussi la première. Ce restaurant fêtait ses quarante ans à grands coups de canapés savoureux et de cocktails bien tassés. Mes papilles chantent encore «non, je n’ai rien oublié…» de ces gâteries. Mes pupilles retrouvent avec plaisir un luxe sobre où dominent les boiseries et une profusion de lampes évoquant des chandelles groupées. L’accueil se révèle simple et cordial, le service stylé sans arrogance. Entre les deux parties de l’immense salle à manger, on découvre ici un jeune palmier et, là, un grand bouquet de fleurs séchées. Mon amie se fait servir presque immédiatement une Sleeman, à quoi je réplique par un pineau. Tchin! Nous croisons le sourire comme d’autres croisent le fer. Nous nous comprenons à demi-mot. Si je dis «médaillons», elle me souffle «d’autruche». Pleurotes? A la crème. Perdrix? Périgourdine. Au mot «lapin», elle se poile, bien sûr, avant de dire «sauce moutarde». Avec un zeste de folie pour laver la grisaille où l’on voit passer, dehors, des ombres furtives et frileuses. Main dans la main (en pensée), nous nous promenons dans les sentiers d’une carte balisée de tentations: poissons et fruits de mer; rognons de veau à la moutarde et miel; wellington de ris de veau au porto et ses petits oignons; daube de cerf; cour de filet mignon sauce choron (béarnaise tomatée) et ses échalotes confites… Nous finirons par nous rabattre sur le menu du midi, évidemment: omelette au jambon, tortellini verts, poulet à l’estragon, cervelle de veau aux câpres, filet de doré amandine, etc. Mais pourquoi se presser? Agaçons un peu l’appétit, prenons le temps de nous émerveiller en feuilletant une autre carte, celle des vins: recherchée, judicieuse, équilibrée. Pommard, Château Pétrus, Château Margaux, Barolo… Notre serveur re-revient faire son tour; cette fois, nous sommes prêts. Et la faim est bien là, palpitante. Pour mouiller sobrement ce qui viendra, j’opte pour un verre de Virginie Sauvignon; mon amie reste fidèle à sa bière. Et la fête, pianissimo, commence bientôt pour elle avec un minestrone encombré de légumes qui se mange comme un charme – si les charmes se mangent. De mon côté, je vide la corbeille de pain, envoûté par une mousse de foie maison qui me fait radoter que j’ai bien fait de venir, oui, très bien fait… A ce propos, je me réserve d’ailleurs une bonne poignée de main. Quand arrive mon crabe de Gaspé sauce hollandaise, je craque: rien à décortiquer; la chair des pattes est là, toute nue, filigranée de rose, et je demande qu’on ajoute dessus, encore et encore, cette sauce dont l’aspect vous met déjà le goût en bouche. Les petites fèves, les pommes de terre rissolées (aux fines herbes), tous les accompagnements peuvent laisser leur numéro; on les appellera. Sourire aux lèvres et vin blanc en bouche, je m’encrabe. Même le «largo d’hiver» des Quatre Saisons qui joue en sourdine me semble ensoleillé. Soudain, je prie mon amie de m’excuser, car je commençais à l’oublier. Je la vois encore baba devant son énorme, son colossal osso buco: deux épais morceaux de viande nappés de sauce et accompagnés de linguine. «Je te salue, ô succulence!», disait le poète. Je ne sais plus lequel. Peut-être personne, après tout. On s’offre de s’aider mutuellement, ma compagne et moi, histoire de nous leurrer un brin, car nous savons que nous ne viendrons pas à bout de nos assiettes. Bref, pas complètement. Après cela, on nous porte le coup fatal: crème caramel et saint-honoré. J’ai commencé par refuser; j’ai terminé par un café.

Restaurant Le Continental
26, rue Saint-Louis
Québec (Québec)
Tél.: (418) 694-9995
Menu du midi: 9,75 à 13,50 $
Table d’hôte à partir de 28,50 $