«Ce livre essaie d’ouvrir symboliquement la porte du monastère à ceux et à celles qui n’y sont jamais venus, mais qui aimeraient transporter le sentiment de paix qui y règne dans leur propre cuisine.» Ces quelques mots concluent la préface que signe Elise Boulding, amie que l’auteur remercie d’ailleurs de l’avoir encouragé à écrire des livres de cuisine. On se souvient que les Éditions de l’Homme ont déjà publié la version française d’un autre ouvrage du frère Victor-Antoine d’Avila-Latourrette: Les Bonnes Soupes du monastère. Avec La Cuisine du monastère, l’auteur, qui vit dans une «ferme-monastère», nous propose cette fois «150 recettes sans viande» et nous rappelle que les légumes jouent, dans la cuisine moniacale, «un rôle unique et prépondérant (?!) car, à travers les âges, la plupart des moines étaient essentiellement végétariens et ne consommaient qu’un peu de produits laitiers et de poisson». Il constate aussi, avec une satisfaction évidente, que le végétarisme a été pratiquement «redécouvert» et s’est largement répandu depuis quelques années. Cela est vrai: ce qui passa longtemps pour une mode constitue aujourd’hui, pour certains, une manière de vivre. Aux considérations purement diététiques, la cuisine monastique apporte une dimension spirituelle: «Elle repose toujours sur une alimentation saine et équilibrée, basée sur l’expérience des moines et des moniales qui doivent être bien nourris afin de bien servir Dieu. Le corps humain en est le temple et ses besoins doivent être respectés.» Voilà qui pourrait justifier toutes les gourmandises! Carnivore impénitent, j’ai craint de m’ennuyer avec ce livre en main; j’ai pris plaisir à le feuilleter, puis à l’examiner avec plus d’attention. Je me suis parfois surpris à méditer sur l’une ou l’autre des nombreuses citations (Dickens, Blake, les Évangiles, saint Bernard, T.S. Eliot, etc.) émaillant le corps de l’ouvrage. Mais je me suis davantage intéressé aux recettes de soupes, de salades, de pains, de gâteaux, etc. qui s’accordent avec les saisons. Outre la préface, l’introduction et la table des matières, l’ouvrage comporte cinq grandes parties: «Hiver», «Printemps», «Été», «Automne», plus une annexe réunissant des recettes de base: sauces, pâtisseries, mélanges d’herbes, boissons, index et «Bonnes adresses d’ici et d’ailleurs» (monastères où l’on peut parfois se procurer des produits alimentaires). Que mange-t-on dans les monastères? Légumes, légumineuses, fruits, poisson et oufs, accommodés de mille et une façons, à l’huile d’olive de préférence, et largement semés d’herbes: filets de poisson Subiaco (p. 30); thon à la mode de Tolède (p. 100); gratin de maïs Tivoli (p. 97); chou et pommes à la béarnaise (p. 31); haricots rouges au vin (p. 23); lait de poule au cognac (p. 165); potage saint Nicolas (p. 19) et autres gâteries se baladant du spiritueux au spirituel. Les desserts sont d’appétissantes merveilles – tels le pouding Gaudete («riz au lait et aux dattes», p. 41) et les patates douces aux raisins secs (p. 57), pour ne citer que ceux-là. Mayonnaises, vinaigrettes, sauces (blanche, pistou, ailloli, béchamel, Mornay…), herbes et bouquets terminent l’ouvrage. L’un de ces derniers a pour nom «Prunelle de mes yeux» (p. 168), et l’auteur précise: «Ce bouquet convient parfaitement aux plats de légumes, de viande ou de céréales.» Le style du frère Victor-Antoine d’Avila-Latourrette est simple, et son livre édifiant sans être péremptoire. Les citations justifient par elles-mêmes leur présence, et il arrive même que l’une d’elles fasse sourire. A preuve, ce mot d’un frère shaker: «Une personne peut tout autant exprimer sa religion en mesurant des oignons qu’en chantant "Gloria alléluia".» J’en ai pris bonne note, puisque c’est d’un «gâteau saint Élie au yogourt» (p. 113) que nous prions ce soir à la maison.
La Cuisine du monastère
du frère Victor-Antoine d’Avila-Latourrette
Éditions de l’Homme
1998, 190 pages