Restos / Bars

Le Moulin à poivre : Voyage amie-ami

Vous croyez n’y aller que pour manger, mais vous vous découvrez plus loquace que d’habitude, plus curieux et peut-être aussi – pourquoi pas? – plus gourmand. Vous vous intéresserez, ne serait-ce qu’un instant, à la superbe poterie alsacienne, glacée et colorée, qui décore les murs et quelques tablettes. Un moule à kougelhopf (ou kugelhof) en fait partie. Un livre ou une revue vous apprendra que sa forme s’inspire d’un chapeau rond porté au Moyen-Age. Pour ma part, je ne cherche pas à comprendre ce que l’invention du célèbre gâteau doit au mariage de l’archiduchesse d’Autriche avec le futur Louis XVI. Je me préoccupe d’un autre détail: le cadre d’une fenêtre – converti en rayon de bibliothèque pour héberger Curnonsky et d’autres maîtres. J’y pêche un livre de recettes qui extirpe du fond de ma mémoire un vieux refrain: «Un beau soir, en Alsace, au printemps…» Il est à peine midi, je sais, mais l’heure importe peu quand on tombe en arrêt sur l’image d’une gigantesque choucroute alsacienne, véritable amoncellement de charcuteries diverses, cervelas, poitrine fumée, queue de porc, gendarmes, poitrine salée, jambonneaux… Tel est le genre de mets qu’on vous préparera ici – sur commande, car il ne figure pas (pas encore?) à la carte de ce petit établissement. Il en est de même pour le coq au Riesling – si jamais vous souhaitez aller au-delà de la table d’hôte proposant coq au vin rouge, calmars à l’armoricaine, truite à la sauce de gingembre et d’orange, ris de veau forestière, sans oublier ce succès hérité du restaurateur qui officiait naguère en ces lieux: l’entrecôte amie-ami. Parlant d’amie, la mienne a rapidement feuilleté un numéro de Wine Spectator («Pétrus 1982» en page couverture!). Elle prend maintenant une part plus active à la conversation. Le chef, qui s’approche de temps à autre, sans quitter son univers délimité par le grand comptoir, sa compagne qui va et vient pour assurer le service, mon amie et moi: voilà, nous sommes quatre à discuter passionnément apprêts et victuailles, viandes et légumes, spätzles, fumage et salaison. Le menu du midi y passe aussi, bien sûr, assaisonné d’explications et de commentaires: omelette au jambon, fettucine aux fruits de mer (pétoncles, moules et crevettes) et foie d’agneau persillade. Mon amie et moi goûtons même à une purée de topinambour qui n’est pas à l’ordre du jour, puis à des tranches de pain couvertes de «saucisse à tartiner» (alsacienne, évidemment). Notre «soupe du moment» est une crème de légumes savoureuse; nous y ajoutons néanmoins une pincée de sel. Après cela, les haut-parleurs ont beau prendre la voix de Catherine Sauvage pour nous chanter qu’«Il n’y a pas d’amour heureux», j’entretiens une liaison sans nuages avec l’assiette posée devant moi: truite meunière, carottes à l’estragon et une bonne portion de spätzles (petites pâtes de forme irrégulière qu’on appelle parfois «quenelles à la souabe»). Mon verre de chardonnay y ajoute quelques notes de discrète euphorie. Mon amie a droit aux mêmes accompagnements. Son steak haché de caribou, assaisonné avant cuisson, a été reformé façon «bitoke»; il est nappé d’une sauce au poivre vert, foncée, corsée à souhait, que l’on n’hésiterait pas à manger à la cuiller. De menues bouchées de mon pain aux olives y vont faire mille tours. Et nous trinquons rouge contre blanc, mon amie et moi. Tout le temps qu’il faut, tout le temps qu’il nous faut pour admettre que nous avons… «outre-mangé». Alors, par décence, nous n’osons ni l’un ni l’autre aborder la question des desserts. Les cafés eux-mêmes seraient de trop si nous n’avions pas l’excuse (justifiée?) qu’ils facilitent la digestion.

Bistrot Le Moulin à poivre
2510, chemin Sainte-Foy
Sainte-Foy (Québec)
Tél.: (418) 656-9097
Menu du jour: 7,95 à 9,95 $
Table d’hôte: 12,95 à 16,95 $
Dîner pour deux (incluant taxes et boissons): 31,17 $