Restos / Bars

Nuances : Le grand jeu

Certains aiment les tables de jeu; d’autres, la table tout court. Pour aller goûter la merveilleuse cuisine du chef Jean-Pierre Curtat du restaurant Nuances, il faut cependant traverser les trois étages de machines à sous du Casino. Si l’on finit par trouver le chemin qui mène du centre-ville à l’île Notre-Dame, si l’on ne s’égare pas dans les stationnements souterrains et si l’on tombe sur l’ascenseur qui mène au cinquième étage! D’ailleurs, ce Casino devrait être rebaptisé le «Labyrinthe de Montréal».

Dans la belle salle à manger cossue que d’aucusn considèrent trop rococo, vous serez surpris de trouver une cuisine de caractère qui ose sortir des paramètres sacrés de la cuisine française bourgeoise. A l’instar de plusieurs restaurants de luxe, depuis quelques années, Nuances a pris l’excellente initiative d’inviter à l’occasion une grande toque, histoire de rafraîchir la carte pendant quelques soirées ou d’exposer les cuisiniers à de nouvelles idées. Quelle qu’en soit la raison, elle profite à tous, mais jamais autant qu’aux clients.

Cette semaine, on y recevait donc Gérard Vié, un illustre étoilé Michelin, qui ne fait pas à grand renfort de pubs télé, mais se contente de servir aux bourgeois de Versailles (où il a installé son restaurant Les Trois Marches) une cuisine somptueuse et d’un raffinement extrême, qui n’est pas sans quelques audaces. Assez, en tout cas, pour qu’on le croie capable de réinventer la cuisine française. Comme beaucoup d’autres du même calibre – Robuchon, Ducasse, Rostang, Savoy, Dutournier -, Vié a pris le parti de renouer avec ses racines en puisant à peine dans le répertoire du terroir des recettes assez classiques, qu’il couple à une technique époustouflante. Mais, contrairement à d’autres, il a sublimé le rigorisme de ces mets de la France rustique par de savants amalgames d’épices et d’aromates divers, si parfaitement fondus dans chacune des préparations qu’il est presque impossible de les identifier avec précision. Chez certains, faire de telles combinaisons constituerait un risque; chez Vié, c’est une signature.

Ce repas bouleversant d’authenticité et de finesse m’a beaucoup impressionné. D’abord par des pétoncles rôtis, encore juteux, déposés sur une crème de céleri-rave parfumée à l’huile de truffe. Puis, dans une concession à la gourmandise de luxe, un foie gras de canard poêlé, presque caramélisé, servi avec une purée de patates douces et des tranches de pamplemousse rose, une combinaison douce et acide qui contraste avec élégance avec le moelleux du foie. Le chef a fait suivre d’un épatant velouté de potiron flanqué de homard en morceaux, auquel a succédé l’incontournable sorbet, cette fois parfumé au poivre. Puisque la magie d’un grand cuisinier consiste à rendre émouvants les produits de la table, il livre un filet d’agneau en croûte d’herbes qui évoque le Sud, accompagné d’une petite ratatouille minute dont les légumes taillés en minuscules cubes restent encore croquants. Nappé d’un dense jus d’agneau détendu au Banyuls, ce plat exquis révèle des saveurs parfaitement maîtrisées. Le decrescendo s’amorce avec une terrine de Roquefort aux figues. Pour terminer, le vin était suivi d’un gâteau au chocolat, dont le centre explose presque en s’écoulant lorsqu’on y plante la fourchette.

Expérience de trop courte durée, la tournée de Gérard Vié devrait inspirer d’autres maisonset les inciter à inviter d’autres grands toqués. En tout cas, Nuances a été un théâtre incomparable pour cette visite rare. Et Nuances, c’est aussi un service stylé, discret et professionnel, une carte des vins savante et tout à fait appropriée à la cuisine moderne qu’on y sert. Même si l’addition est… élitiste. Le menu Vié se chiffrait à 95 $ par personne, avant taxes et service, pour cet exceptionnel repas de sept services. Cent quarante, si on le prenait avec les vins choisis par Marc Labrie, le directeur des restaurants.y
Nuances
1, avenue du Casino
Tél.: (514) 392-2746