Restos / Bars

Le Saint-Malo : Port altier

Pour conclure avant même de commencer, je dirais que je n’ai pas souvent été aussi gâté par un repas du midi. Du plaisir à l’état pur, ou peu s’en faut! Des ballons de couleur encore accrochés là rappellent que l’établissement vient de célébrer son seizième anniversaire. L’accueil lui-même a quelque chose de festif, une espèce d’enjouement poli et, dans le sourire, certainement des traces de soleil. Petites tables, chaises et banquettes composent un mobilier fort simple, et les murs de pierres grises, presque noires, s’ornent de nombreux objets – goélette, masques, etc. Au fond, au-dessus du bar, deux sabots de bois encadrent la grosse pastille rouge des anciennes publicités Coca-Cola. Tout à droite, c’est l’amorce d’un escalier menant, en haut, à une autre salle à manger – celle du rez-de-chaussée, où nous sommes, est d’ailleurs presque pleine. Certains clients mangent déjà, d’autres s’apprêtent à commander. A notre arrivée, les haut-parleurs nous chantent Brel qui a vu Vesoul, tandis que je ne vois, moi, que des raisons d’avoir encore plus faim: steak frites et cassoulet maison, entre autres, sortant d’un passe-plats derrière le comptoir. Deux verres de vin maison, et nous voilà prêts à toute éventualité. Comme d’habitude, je laisse à mon invitée le temps d’assimiler le menu du jour, d’en évaluer toutes les potentialités en se débattant dans un fouillis de «pour» et de «contre». Douloureux combat d’où monte parfois une plainte du genre «ah, du gratin d’aubergine!» ou «il doit être bon, leur saumon sur coulis de poireau». A partir du choucroute à l’ancienne, je ne l’entends plus. Je me suis moi-même égaré parmi les «calmars tra-la-la itou», osso buco milanaise, filet d’agneau au pastis et ris de veau forestière de la table d’hôte. Là, on peut en avoir encore pour un moment: entrecôte grillée au roquefort, lapin aux deux moutardes, assiette du pêcheur sur coulis de poireau… J’éprouve toujours un certain plaisir à retarder le moment de passer commande. La carte aussi m’en donne l’occasion avec ses salades (verte, à l’ail ou au roquefort), boudin grillé, terrine maison, hareng mariné, soupe à l’oignon, bisque de homard, entrecôte à l’humeur du chef et… Cette fois, la plainte qui m’interrompt a des accents de désespoir; on crève de faim à ma table. Retour à la case départ, en l’occurrence aux propositions d’un menu du jour que ma compagne me récite par cour: omelette forestière, salade de thon, moules marinière, tartare frites et salade, cigare au chou, etc. Le temps de regarder, dehors, les passants qui pirouettent maladroitement sur le trottoir glissant, nous voilà servis. La soupe du jour, au concombre, est en soi un réjouissant paradoxe: fraîche quoique chaude, veloutée quoique claire, apaisante bien que très poivrée. Elle a le goût de ce qu’elle est, au point que les deux ou trois pépins de concombre qui y flottent sont une redondance. De trop, certes, mais inoffensifs. Mon invitée a demandé qu’on lui remplace la soupe par une petite salade – laitue Boston, tomates et chou-fleur mouillés d’une vinaigrette crémeuse qui ne vous fait pas grincer des dents. Ensuite arrivent ses ravioli de bison; elle y goûte, y regoûte, puis me regarde avec une expression de tendresse qui ne s’adresse pas à moi. Je sais ce qu’elle n’a pas encore dit et que, d’ailleurs, je dirai après ma première bouchée de cervelle aux câpres: «Parfait!» Ces deux plats, sans doute, nous consolent des nombreuses fois où nous nous sommes sentis presque coupables d’avoir quelque chose à redire d’un potage, d’une viande ou d’un plat de pâtes. Pendant quelques instants, cela me semble trop beau pour être vrai. D’une bouchée à l’autre, je m’attends à une petite déception – excès de sel ou d’acidité, excès ou insuffisance de cuisson. Rien de tout cela. Mais plutôt une succulence toute simple qui vous fait du bien partout où elle passe… et bien au-delà. Nous serons presque les derniers à quitter le restaurant – sans doute par crainte de rompre un charme inattendu, – après avoir longuement, très longuement dégusté nos cafés.

Restaurant-café Le Saint-Malo75, rue Saint-PaulQuébec (Québec)Tél.: (418) 692-2004Menu du jour: 7,95 à 13,95 $Dîner pour deux (incluant taxes et boisson): 34,15 $