Restos / Bars

L’Opinel : Fine lame

Le futur de la restauration se joue sur deux fronts: le bistro et l’ethnique. Les restos chics sont de moins en moins profitables pour les propriétaires, et de plus en plus coûteux pour les clients. Et comme les comptes de dépenses ont à peu près disparu – après tout, nous ne sommes ni à Paris ni à New York où ils font partie des mours, cela causerait une chute des cours boursiers, s’ils venaient à disparaître -, la cuisine de luxe a pris un dur coup. Les grandes tables se mettent donc à réinterpréter la cuisine bistro; et il n’est plus rare de voir apparaître un pot-au-feu, des grillades toutes simples sur des cartes autrefois composées de produits nobles.

Cela ne signifie pas qu’on néglige la qualité, mais plutôt qu’on lui fait subir une cure d’amaigrissement. Les nouveaux restos, eux, font résolument dans le registre bistro. Et si certains servent une cuisine éculée, d’autres font des efforts pour se distinguer et proposent des menus originaux à bon prix. C’est le cas de L’Opinel, installé dans l’ancien Moz. Les patrons ont agrandi et nettoyé l’endroit, ouvert un espace entre la cuisine et la salle, repeint les murs avec les couleurs à la mode – bleu nuit, orange brûlé, jaune -, mis de la céramique, du métal, du bois et un beau foyer qui crépite et réchauffe l’atmosphère. Mais ils se sont gardés d’affoler les clients avec des additions houleuses qui feraient fuir.

La carte propose surtout des viandes grillées. Il s’agit d’un retour étonnant de cette mode après des années de vaches maigres, certains diraient même «folles». Les couteaux Opinel – dont le resto tire son nom – servent d’ailleurs à découper les chairs et sont présentés avec chaque assiette. Cependant, on trouve entre les plats carnés quelques idées maritimes ou végétales, toutes faites avec de bons produits. Mais rien ne chavire l’âme question cuisine, et l’on reste dans un registre clean qui ne laisse pas encore parler le cour. La décoration des assiettes – persil haché, dés de tomates – alourdit la présentation; en cuisine, rien n’est plus séduisant que la sobriété.

Entre une assiette de calmars frits dans une pâte légère et craquante (les calmars un peu trop cuits tout de même) et une salade panachée au confit de canard, dont la vinaigrette laisse poindre des notes d’arachide et de gingembre, il y a quelques bonnes idées. Plus convaincant, le foie de veau grillé fond en bouche, ne laisse aucun goût ferrugineux et révèle un assaisonnement parfait. Les accompagnements de fenouil braisé et crémé, de choucroute (un tantinet trop aigre), et de pommes de terre pilées au pistou prennent un peu trop le dessus pour un second rôle. L’entrecôte est juteuse, grillée à la perfection, et me réconcilie tout à fait avec le genre animal. Les frites sont croustillantes et seules à garnir cette assiette, un bon point. Mais la mayo vient du pot, non de la main du cuistot. Et les desserts sont de chez Kilo, ce qui m’empêche d’en jouir pleinement et me rappelle que peu de restaurants en ville font leurs desserts sur place, et c’est une tragédie, car la conclusion d’un repas reste souvent l’ultime souvenir d’un endroit. La carte des vins est bien composée et facturée raisonnablement. Le service est impeccablement bistro, informel, sympa et souriant; et la pianiste qui égrène des «standards» jazz, comme le chant d’une sirène, les fins de semaine, contribue au plaisir de ce nouveau bistro de quartier. Comptez 60 $ à deux, avec les taxes et le service, avant les boissons.

L’Opinel
408, rue Gilford
Tél.: (514) 848-9696