Il y a de ces chefs qui font de la cuisine avec un sentiment réel de fierté, qui injectent dans leur métier autant de passion que dans l’amour. Ça se sent dans le travail des sauces, dans l’attention au détail; dans des assiettes qui ne sont jamais trop pleines ni trop vides; dans une carte originale, mais qui ne trahit pas son ascendant français; dans des desserts faits maison; dans du café correctement infusé; et, surtout, dans la qualité des produits. Toujours frais et, en saison, dans la mesure où il est plus logique de trouver des mets cuisinés au fromage, en plein hiver, qu’aux fraises ou aux asperges.
C’est le cas du chef Pascal Gellé, qui s’était déjà taillé une réputation honorable dans un restaurant du nord de la ville appelé La Chamade. Ce cuisinier humble et placide a ouvert un resto, tout récemment, qui m’a enchanté. Pourtant, ce n’est pas une grande table, il n’y a pas de nappes blanches ni de guéridon, mais de simples napperons et des serviettes en papier. Le service est assuré par la fille du patron. On peut même y apporter son vin. C’est un bistro «de quartier», puisqu’il se trouve à l’écart des grands axes, juste devant le parc La Fontaine. Le chef consacre une grande partie de sa carte aux poissons et aux fruits de mer qu’il cuisine admirablement bien. Pas étonnant qu’il ait nommé son resto Le Poisson rouge. Mais, rassurez-vous, on ne trouve aucune de ces carpes miniatures au menu.
Dans un décor d’une netteté un peu géométrique, je dirais même «scandinave», avec sa froideur design, on a repeint en couleurs presque méditerranéennes des murs vides pour parvenir à un heureux mélange entre retenue et aplomb. Mais l’aplomb vient surtout des plats parfaitement réussis, comme un coulommiers frit servi sur une salade de chicorée simplement nappée d’une émulsion qui contenait une pointe d’épices. Ou mieux, une assiette de moules, ouvertes et cuites dans une crème assaisonnée au cari et présentées dans un feuilletage de pâte filo, une variation de la mouclade charentaise. En plat, une heureuse surprise: une tranche de requin roulée dans le poivre noir et poêlée avec un beurre légèrement noisette. Ce poisson cartilagineux, habituellement réservé aux potages, possède de belles qualités, en plus d’une chair moelleuse et pleine de goût. Curieusement, on le trouve assez rarement sur les menus. D’ailleurs, certaines croyances jugeant que si «l’on mange du requin, un requin nous mangera», il n’est pas surprenant qu’on le camoufle sous des noms comme «flake» ou «chien de mer»! Autre surprise, des mignons de porc, saupoudrés de poivre et de cacao, nappés d’une sauce riche mais courte, presque un jus, dans laquelle se distingue, mais à peine, l’aigre-doux. Pour ceux que l’audace effarouche, le chef connaît aussi ses classiques et propose des mets plus conventionnels, quitte à les personnaliser. Enfin, rien ne termine mieux un repas qu’une tarte aux poires, simple et substantielle, mais faite à la maison, ce qui est rare dans une ville où les douceurs sont sous la domination étrangère et qui vit sous le règne du lourd gâteau depuis bien trop longtemps. Un dessert, c’est comme une star de cinéma, ça n’existe pour aucune autre raison que pour nous donner du plaisir.
Dans le genre, voilà donc une maison sans reproche qui vous fait une cuisine savoureuse, soignée et qui vous facture 25 $ par personne pour le menu comprenant une entrée, un potage, un plat, un dessert et un excellent café, avant les taxes et le service. Y a de l’espoir.
Le Poisson rouge
1201, rue Rachel Est
Tél.: (514) 522-4876
Amuse-gueule
ò Preuve que la mode des bistros a aussi déferlé sur d’autres villes (le resto le plus célèbre de New York en ce moment est un bistro), la plupart des grands chefs parisiens ont ouvert un établissement modeste dans les dix dernières années _ histoire de ne pas disparaître, tout simplement. Le résultat: ça ne défonce pas la carte de crédit, et ça évite une attaque coronarienne devant les additions astronomiques que vous réclament certaines grandes tables. Ensuite, ça permet de manger de la grande, très grande cuisine, mais qui ne contient ni truffe, ni caviar, ni foie gras, ni champagne à chaque bouchée et qui, par conséquent, est facturée raisonnablement. Et puis, Y EN A MARRE DES GRANDES TABLES. Je m’excite, mais c’est la réaction que j’ai eue quand on m’a présenté l’addition de neuf cents francs par personne (divisé par 3,8, ça vous fait 236 $ sans vin!) au Grand Véfour pour le lunch! À titre d’exemple, Le Menu d’Alain Ducasse, lui, tire à mille cent cinquante francs! Cela dit, si vous voulez avoir une bonne idée de cette tendance, Guy Savoy, un étoilé Michelin et surtout un merveilleux cuisinier, vient tout juste de publier chez Hachette Cuisine de mes bistros _ il en a six! _, un recueil avec des recettes qui fonctionnent et qui ne demandent, en moyenne, qu’une demi-heure de préparation. Un coup de cour!
ò Les amoureux de l’Italie seront heureux d’apprendre que la Délégation commerciale d’Italie organise à nouveau une série de cours qui auront lieu à l’ITHQ. Ils se tiendront du 22 au 26 mars. Ils sont étalés sur cinq jours; un cours coûte 45 $. Info: 282-5115.