Restos / Bars

Au Chapon fin : La Provence au centre-ville

Rappelez-vous les comptes de dépenses. Ah! cette belle époque maintenant révolue où nos dirigeants et nos avocats se précipitaient au restaurant avec leur clients (ou leurs amis qu’ils faisaient passer pour leurs clients). Ils y passaient l’après-midi à consommer du bon vin _ cher surtout _ et à discuter «affaires». La compagnie assumait l’addition et la déduisait à l’impôt. Beaucoup de restaurants ont souffert de la disparition des comptes de dépenses.

Au centre-ville, les endroits qui en profitaient ont laissé la place à d’autres, moins guindés et plus modestes. C’est le cas de ce Chapon fin, installé dans un espace considérable et aux plafonds bas, dont le décor rappelle étrangement la salle de réunion d’un président de compagnie. Autrefois propriétaires d’un mignon resto provençal appelé Le Petit Logis, les patrons continuent de proposer la même cuisine aux accents méridionaux bien affirmés, aussi affirmés en fait que leur accent chantant. Toutefois, les éléments du décor d’une jolie maison de campagne _ la dentelle, les pots à fleurs, la table à dessert et à fromage _ sont littéralement perdus dans cette atmosphère un peu froide. Heureusement, l’accueil et le service sont, eux, effectués avec la chaleur méridionale.

Le souci principal de cet établissement n’est pas de personnaliser la cuisine du sud de la France, mais d’en restituer les principales saveurs, des saveurs profondes dont la base est consituée d’herbes, d’ail et de légumes. Dans cet esprit, on n’hésite pas à imposer des plats presque roturiers, mais qui ont du goût. Passons sous silence quelques ratés dans les cuissons, puisque le fond est bon, et ne nous attardons pas trop sur les desserts sans grand intérêt et facturés au coût downtown! Préparée avec soin, la soupe de pistou à la provençale n’est que la parente de la génoise: une soupe de légumes et de haricots dans laquelle on rajoute la célèbre émulsion de basilic, de pignons et d’ail pour lui donner de la saveur. Et puisque la soupe nous ramène à nos sens _ c’est le moins prétentieux de tous les plats _, elle révèle aussi le talent du cuisinier, car il est difficile de tricher au potage, tant par la qualité du bouillon que par celle du goût. Autrement, la salade de betteraves au bleu et confit de canard est généreuse, nappée d’une vinaigrette qui met en valeur le parfum terreux du légume. Les cailles grillées et servies sur un canapé de mousse de volaille parfumée au porto se révèlent également une entrée de bonne volonté. Servi dans une assiette trop petite, le ragoût de lapereau et de ris de veau aux olives est cependant assez réussi, plein de généreuses saveurs ensoleillées, qu’accompagnent une ratatouille, une timbale de brocoli un peu riche mais exubérante, et de l’ail en chemise à ce point confit qu’on le mange avec sa peau. Je note que les assiettes sont tellement pleines qu’elles débordent presque, qui relève moins de l’élégance que de la gaucherie. Heureusement, les saveurs sont franches, et les produits, de bonne qualité. La longe d’agneau en feuilleté de pâte filo est une bonne viande, un peu trop cuite toutefois. Pas étonnant, puisque le contrôle de la cuisson d’une viande reste très difficile quand on l’enferme dans une pâte. Surtout enserrée d’épinards à peine étuvés. L’idée est bonne, la compatibilité entre les composantes, excellente, mais la technique n’est pas à point. La moiteur des épinards rend la pâte un peu mollasse, et la viande est juste un peu trop salée. On sent le besoin de nous servir une assiette de frites à part _ largement ignorées, vu les copieuses portions.

Les douceurs pourraient faire preuve d’un peu plus d’entrain _ entre autres une marquise à l’orange et au Cointreau, entremets un peu trop riche à mi-chemin entre la mousse et le parfait, et une douceur au chocolat plutôt bonne. Quant au café, et il faut le dire, il est pratiquement imbuvable tellement il est acide. La carte des vins est courte, mais précise. Les prix de la table d’hôte vont de 22 à 29 $ et comprennent l’entrée, le plat et le café. Les desserts oscillent autour de 8 $! Un repas pour deux reviendra à environ 90 $, avec les taxes et le service, mais sans le vin.
Au Chapon fin
1172, rue Bishop
Tél.: (514) 866-7890

Amuse-gueule
L’Hôtel Intercontinental a reçu la semaine dernière une délégation de chefs tunisiens (cela, je peux m’en féliciter) qui ont proposé au menu de la principale salle à manger des plats typiques de cette région du Maghreb, dont la cuisine est trop souvent assimilée à celle du Maroc. Erreur! Ces deux cuisines sont distinctes, aussi distinctes que le caractère de leurs habitants. En Tunisie, on a découvert une gastronomie plus rustique, davantage une cuisine de maison qu’une cuisine de cour, moins épicée et plus pimentée, dont la variété est aussi grande que celle de ses voisins. Il faut continuer à encourager ces expériences de découvertes gastronomiques «authentiques» _ malheureusement souvent limitées à de grands hôtels.