Quand j’en ai parlé pour la première fois, il en était à ses débuts. Il fête ce mois-ci ses quatre années d’existence, avec tout ce que cela suppose d’acquis: une clientèle accrue d’habitués et une plus grande sûreté de main en ce qui concerne les «créations» de la maison. Trois personnes assurent le service, ce midi, et ça y va rondement. Le local s’est enrichi de deux autres salles à manger, tandis que la décoration se paie un surcroît de fantaisie avec ses nouvelles assiettes accrochées au mur, de nouveaux miroirs, d’autres jardinières et quelques papillons colorés ornant les grandes baies vitrées. La carte n’a évidemment pas renoncé à ses classiques, ceux qu’on redemande, le poisson frais du jour, la cervelle de veau, les cannelloni… Sans oublier les moules-frites dont le succès ne se dément surtout pas en ce moment. «Casserole de moules au poivre», propose le menu du jour: plusieurs clients se sont laissés convaincre _ mon invitée en fera autant, après avoir éclusé son apéro et commandé un verre de vin blanc. D’autres ont préféré le plat de rognons et cervelle de veau bordelaise, tandis que j’hésite entre l’espadon à la crème d’estragon, la bavette de bouf grillée sauce moutarde et le tartare de bouf «Nicolas». Ce dernier, je crois, figure parmi les derniers venus sur la carte, avec le quatuor de pâtes coloré qui fut pendant longtemps un simple trio. Je me contente de reluquer les aiguillettes de canard à l’infusion d’oranges et le steak de thon «Nicolas». En guise d’entrée en matière, mon invitée choisit la César: laitue fraîche et franche, comme il se doit, mouillée d’une vinaigrette qui ne vous fait pas grincer des dents; le fromage y est aussi, bien sûr, de même que les anchois. Ce n’est pas ce que Cesare Cardini avait inventé, mais c’est la version que je préfère. J’apprécie moins les morceaux de bacon, qui me semblent de trop… «Absolument pas!», proteste mon invitée. Pour changer de sujet, je lui offre quelques cuillerées de ma crème de légumes, belle et bonne, où domine un peu le goût du chou-fleur. Je renonce à terminer ma Belle Gueule et me fais apporter un verre de vin blanc. Quelques minutes plus tard, une bouffée de parfums s’épanouit à notre table: nous sommes servis. Des moules pour Madame, qui les a choisies au roquefort. Grosses, dodues, pulpeuses, tendres et nombreuses. En principe, je n’aime pas beaucoup les poissons à chair ferme; je suis sans doute le seul coupable si je ne termine pas mon plat d’espadon. Mon invitée en profite pour me refiler des moules, des moules et encore des moules. Quand je vois enfin clair (de lune?) dans son jeu, il est trop tard: je ne peux plus rien avaler, et elle se tape malicieusement une crème brûlée qu’elle me raconte en souriant.
Bistro Au clair de lune
3175, chemin des Quatre-Bourgeois
Sainte-Foy (Québec)
Tél.: 659-5298
Menu du jour: 7,95 à 11,95 $
Tables d’hôte (avant vin, taxes et service): 12,95 à 18,95 $
Dîner pour deux (incluant boissons, taxes et service): 46,50 $
Petit précis de cuisine elfique
Ils datent de la nuit des temps, ces alfes (álfar) dont le culte, maintenant oublié, a tout de même laissé quelques vestiges dans le folklore scandinave. Ils avaient fini par prendre figure humaine et par devenir les «elfes» des chansons populaires, tandis que le roi des elfes danois, Alberich (Aubéron) inspirait les Chaucer, Weber, Shakespeare… Avant de disparaître, l’un de ces derniers a soigneusement caché en pleine forêt «un coffret! une planquette… un trésor…»
Alors, vivement un Petit précis de cuisine elfique, divisé en quatre saisons, pour nous réapprendre à vivre, c’est-à-dire à manger!… Délicieux prétextes que ces elfes; ils n’ont pas leurs pareils pour apprêter les «fèves fraîches des fées follettes», les araignées de mer et les oursins ou nous rappeler qu’«une bonne crème brûlée se fait avec l’herbe aux sorciers» (verveine officinale, dite aussi «herbe à tous maux»). Ils nomment «souperise» leur soupe surprise à base de cerises et, à ceux que malmène l’automne, ils prescrivent «Deux panacées pour goutte au nez»… Dans un style alerte et presque badin, Laurence Germain nous offre là un magnifique petit livre plein de recettes originales _ et… réalisables, de la soupe aux desserts. Pour sa part, Yannig Germain s’est laissé prendre au jeu, si l’on en croit la «vérité» de ses illustrations. En refermant ce petit livre, vous êtes certain d’avoir un moment habité des régions désertées depuis vos premiers contes de fées.
Petit précis de cuisine elfique,
de Laurence et Yannig Germain
Morlaix, éd. Avis de tempête,
1999, 96 pages