«Vous, vous avez un restaurant italien!» C’est dit sur le ton de celui qui ne peut avoir d’autre certitude, puisqu’il vous voit noter furieusement tout ce qui tombe sous vos yeux _ le cellier dressé à l’entrée, le bouquet de fleurs placé devant la baie vitrée, les tables habillées de blanc, le va-et-vient des serveurs, la carte… Ah, la carte! N’en attendez pas une couverture tape-à-l’oil, ni une calligraphie acrobatique, ni une cascade de métaphores. Elle se livre à vous en toute simplicité et tout de même assez suggestive pour éveiller la faim et la curiosité. Mon invitée s’intéresse d’abord à un petit écriteau de carton annonçant le festival du homard. Elle me rattrapera dans ma lecture, me devancera même. «Arselle, tu sais ce que cela veut dire?… Ce sont des pétoncles, voyons!…» L’instant d’après, la voilà qui interroge l’un des serveurs; nous retenons l’essentiel de ce qui fait que les fettucine soient alla Pietro Burgo: bouillon (brodo), champignons au beurre et fromage. Elle prend aussi plaisir à murmurer quelques autres appellations, tant le dépaysement lui excite l’appétit: filetto di salmone all finocchio (eh oui, au fenouil), filetto di maiole salsa ü 2 pepi (filet de porc aux deux poivres), saltimbocca alla romana (avec du vrai jambon de Parme et du vin blanc)… Moi, je traîne loin derrière, évidemment. J’en suis encore à la terrine de fruits de mer, à la fondue parmesan, au feuilleté d’escargots à la crème d’ail, au pâté maison au confit d’oignons. Un kir bien frais m’aide à prendre tout le temps que je me dois. C’est le moment d’admirer de loin les deux grands tableaux ornant, sur la gauche, le mur couvert d’une tapisserie à fleurs. Tout le reste n’est que miroirs immaculés et boiseries d’un brun chaud. Ajoutez à cela une courtoisie sans faille du service et une politesse qui se fait vite cordiale, et vous comprenez pourquoi on aimerait s’éterniser ici, passer de l’apéro au vino rosso et à tout ce qui peut s’ensuivre, tout en se laissant dorloter les narines par le fumet des pasta aux fruits de mer, du foie de veau aux framboises ou du filet d’agneau au romarin. Pour faire exprès, les haut-parleurs chantent en sourdine un air d’opéra qui vous parle d’amore. Nous souhaitons de tout cour, mon invitée et moi, que la cuisine soit digne de l’ambiance; nous serons comblés au-delà de nos espérances. Pour commencer, j’ai demandé qu’on me remplace une entrée de la table d’hôte par des calmars frits. Il s’agit d’une espèce de test, bien sûr, que certains échouent parfois. Ce n’est pas le cas, ce soir. On accède à ma demande sans rechigner et les calamari fritti m’arrivent très légèrement vêtus d’une panure qui fond pratiquement en bouche. Leur chair succombe sous la dent comme si elle n’attendait que cela. Mon invitée y goûte, y regoûte, ne cesse pas d’y regoûter… «Si tu manges tout ça, tu n’auras pas faim pour la suite»: voilà comment elle justifie les assauts répétés de sa fourchette. Je me venge au mieux dans sa petite assiette où il reste encore quelques morceaux de cours de palmier vinaigrette. Je me venge encore quand arrive son potage, que j’apprécie bien plus que mon consommé. Son trio di pasta n’y échappe pas, lui non plus. Je serais bien en peine de dire si je préfère les penne aux crevettes et bacon, les cannelloni osteria (à la béchamel) ou les fettucine aux quatre fromages (parmesan, oka, gorgonzola et camembert). Ils écopent tous les trois. Tant mieux pour moi. Je ne délaisse pas pour autant mon filet de saumon au cari, lui aussi savoureux, complaisant, rempli de bonnes intentions à mon égard. Nous mangeons heureux. Et c’est dans un tel état de bien-être que je commande étourdiment un baba au rhum que je ne peux terminer. Une fois de plus, mon invitée se dévoue pour ne rien laisser de sa zuppa inglese aux couleurs de l’Italie. Quand, après nos cafés, nous croyons avoir fini et rêvons d’une longue marche expiatoire, on sert à chacun de nous un petit verre de Ramodoro, parent «raffiné» du limoncello. Parfum et goût de lime, avec une puissante note de zeste: je me mets à penser qu’un digestif pourrait bien produire les mêmes effets qu’un apéro. Remarquez, je ne dis pas que je recommence à avoir faim…
Restaurant La Perla
1274, rue Chanoine-Morel
Sillery (Québec)
Tél.: (418) 688-6060
Tables d’hôte: 19,95 à 27,95 $
Menu du jour à partir de 9,50 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 71,50 $