Incontestable dans son rôle d’ambassadeur de l’Occident en Orient et vice-versa, Hong Kong est la ville où l’on mange la cuisine la plus raffinée d’Orient, la plus authentique, la plus étonnante. Hong Kong est aussi l’une des rares ville où tout le monde s’intéresse à la cuisine, du balayeur de rues au président de compagnie. Et il n’est pas rare qu’ils mangent aux mêmes endroits. La cuisine chinoise n’a pas de meilleur ambassadeur.
Dans ce continent fou de bouffe, dans une culture qui prend la cuisine aussi sérieusement que les Français, et qui traite ses cuisiniers comme de véritables demi-dieux, il était donc naturel d’organiser un Festival consacré aux talents et au métier. En gestation depuis quelques années, la cité s’est dotée d’un «vrai» festival de cuisine _ cette fois-ci, d’envergure internationale. Des chefs invités de partout en Asie, comme Singapour ou Taipei; des brigades formées dans les meilleures écoles locales, mais aussi avec les plus grands cuisiniers chinois de la planète; une vraie compétition entre Occidentaux et Chinois (une rareté) où chacun rivalise de prouesses gastronomiques; des cours publics; des concours de sculptures sur glace calqués sur une compétition sportive, sans espadrilles et avec des couteaux bien aiguisés; des démonstrations par des chefs invités d’Australie ou de Chine, aussi bien que par les meilleurs cuistots locaux _ souvent employés dans les grands hôtels. Jusqu’aux critiques gastronomiques des grands journaux qui étalent leur talent devant un public qui, à son tour, devient critique. Un renversement des rôles, égalitaire, en quelque sorte. La preuve qu’on peut difficilement juger la cuisine des autres si on ne sait pas la faire soi-même. Une leçon d’humilité que d’aucuns devraient prendre en considération en Occident.
La compétition contenait un volet chinois et un occidental, et a couronné plusieurs cuisiniers locaux, bien sûr, mais aussi une cuisinière américaine, un Suisse et un Portugais, des Malais, des Singapouriens, des Taïwanais. Les critères étaient sévères (techniques de préparation selon les règles, rigueur et précision, esthétisme, goût, et degré de difficulté) et basés sur les ingrédients choisis, la méthode et l’originalité; car un concours, ce n’est pas une démonstration d’humilité, mais de haute voltige. De plus, tous les plats devaient être des créations. Un peu comme le défilé de mode d’un grand designer: le but n’est pas de montrer qu’on sait cuisiner, mais de prouver qu’on est virtuose.
Dans le volet cuisine chinoise, il fallait voir les constructions architecturales (entre autres, une présentation reprenant un thème mythique, avec un temple sculpté en carottes rouges, vertes et blanches, des personnages en gingembre, une mare pleine de poissons rares et bien vivants, au milieu d’une forêt tropicale faite de tout ce que contient le garde-manger local). Le choix des produits inusités fait aussi partie des habitudes, et ne surprend personne ici: langues de canard, cocons d’abeilles frits, ovaires de grenouilles, ratons laveurs, chauves-souris; et des choses étranges qui dérivent sur les fonds marins et qui ne portent aucun nom anglais, et encore moins français. L’apparence a beaucoup d’importance, et il m’a fallu reconnaître les techniques époustouflantes et l’exceptionnel talent de ces chefs, parfois très jeunes et formés dès l’enfance. Nous sommes loin du chop suey! Une médaille d’or, ici, consacre la carrière d’un cuisinier et lui assure une réputation enviable et… tout un salaire. En tout cas, à mon retour, et après toutes ces dégustations, je le jure, je me mets au cresson et à l’eau de Vichy. Dur métier!