Les midis se suivent et se ressemblent peu. Il en est de tranquilles: quatre ou cinq clients mangent presque en silence, vidant à petites gorgées méditatives leurs verres de jus, de bière ou de Coke. Il en est de plus achalandés: des amis s’arrêtent pour dire bonjour «en passant» et, finalement, s’installent et ne bougent plus. D’autres fois, un petit groupe de jeunes et de moins jeunes vient ici affûter son espagnol livresque contre une langue bien vivante. Tout se déroule sur fond de salsa ou de merengue, dans une pièce de dimensions modestes, ponctuée d’affiches et de sombreros, où flotte l’odeur de ce qu’on entend frire derrière le comptoir. Viande hachée, tomates, oignons, frijoles… Ça sent bon, quoi! Les nappes ont la couleur des murs, un rose que je qualifie de «tropical» _ celui de la zona rosa, à Mexico, ou des maisonnettes bordant les plages de Choroní, par delà les montagnes de Caracas. C’est un peu d’évasion, de vacances ou de nostalgie qu’on vient chercher là, et un rien y pourvoit. On y vient aussi pour se chouchouter l’appétit presque à la bonne franquette. La carte se réduit au minimum «typique» et les prix plafonnent… au plancher: nachos, chili con carne ou guacamole en entrée; à quoi fera suite l’un des six plats proposés en termes laconiques: tacos, fajitas, burritos, quesadillas, tamales, enchiladas. Des précisions? On vous les fournit sur demande, mais parfois vous hésiterez longuement entre burritos et enchiladas. Nous nous retrouvons dans cette ambiance, mon invitée et moi, pour la deuxième fois cette semaine. C’est comme si nous venions y poursuivre une conversation restée en plan sur un cordial ¡hasta pronto! Devant chacun de nous, un petit bol qui pourrait passer pour une fleur avec ses pétales de tacos. Tout comme l’avant-veille, elle a choisi un chili con carne fumant: haricots bien fondants, viande hachée juteuse, sauce bien assaisonnée et assez piquante. J’ai moi aussi récidivé d’un savoureux guacamole où subsistent de tout petits morceaux d’avocat qu’on prend plaisir à écraser de la langue contre le palais. Ne serait-ce qu’une impression? On dirait qu’avec ça, la Corona se comporte mieux en bouche, comme en pays de connaissance. «Savez-vous à quoi sert la tranche de lime à demi enfoncée dans la bouteille?» Cette question m’avait été posée, deux jours plus tôt… J’avais toujours cru, à tort, que c’était pour le goût!… «Maintenant, je sais», dirait encore Gabin. Avec nos plats de résistance nous arrivent d’autres réponses à nos questions. Il est surtout question de musique, de Celia Cruz à Selena, en passant par Compay, Tito Puente, Nelson Ned et quelques oubliés. Essayez donc de prononcer le nom de Miguel Matamoros avec un morceau de fajita brûlant dans la bouche! Nous parlons également des «6 à 8 en espagnol» qui se déroulent ici le jeudi et le vendredi, en plus des samedis latins, moins réguliers, où l’on vient manger, danser ou seulement taper du pied au son d’une petite formation musicale. Outre ma fajita bourrée de poulet en morceaux effilochés, je me tape un burrito de bonne corpulence, moelleux et chaud. Entre deux gorgées de vin rouge, mon invitée y rafle à intervalles l’équivalent de ce que je prélève de sa quesadilla plutôt piquante, à peine adoucie par l’épais fromage blanc qui déborde. Nos verres tirent à leur fin; nos appétits aussi. Nous terminons nos assiettes en silence, avec une lenteur appliquée, comme si nous craignions de ne pas pouvoir en venir à bout. «Où es-tu?» demande enfin mon invitée. Je l’ignore encore, mais j’ai presque envie de prendre pour vrai le poteau déguisé en cocotier qui se dresse au milieu de la pièce.
Restaurant Sol Latino
184, rue Saint-Vallier Ouest
Québec (Québec)
Téléphone: 649-9333
Table d’hôte: 6,99 et 7,99 $
«Trio midi»: 4,50 $