Restos / Bars

Jongleux Café : Plus exquis que son ombre

Pour les idées et les projets en cuisine française, pour des plats singuliers dont les composantes sont d’une fertile originalité et d’une redoutable précision, aucun chef ne dégaine plus vite que Nicolas Jongleux. C’est bien simple: Jongleux, c’est le Lucky Luke de la gastronomie. Précis. Séducteur. Redoutable.

Ce lutin un peu espiègle a voulu créer un bistro moderne, à l’instar de ces jeunes loups parisiens venus des grandes maisons. Pari tenu: Jongleux Café, ouvert avec une amie et associée Patricia Hovington, anciennement de Clémentine, a tout du bistro nouvelle vague, mais sans la nostalgie. Un lieu où la cuisine est simplifiée, mais pas simple. Un restaurant où le service est sans liturgie, sans faille. Et où les prix se mesurent avantageusement aux bistros, mais dont la cuisine est comparable aux plus grandes tables de ce pays. Bien que le décor ait été rénové avec des moyens modestes, on a réussi à donner un peu de charme à cette bâtisse en béton armé, autrefois sans grâce. Un peu de couleur, quelques peintures, des miroirs, des fleurs fraîches, une bibliothèque remplie de vrais livres de cuisine auront suffi à rendre l’endroit cosy. De plus, la salle s’étend sur deux étages, question de séparer les fumeurs de leurs ennemis.

La carte change régulièrement et propose des plats dans l’esprit saisonnier, une idée fixe de Jongleux qui s’approvisionne en produits frais à la ferme biologique, entre autres, de monsieur Daigneault, de Blainville. Avec une capacité d’avancer encore, alors que plusieurs reculent, et sans aucunement nier les vertus de la tradition, la créativité chez Jongleux s’exprime d’abord et avant tout par une cuisine limpide, aux associations parfois inédites, mais toujours palpitante. Certains personnes jugeront que c’est un peu «risqué», mais ce n’est pas mon cas: le risque étant plutôt de passer à côté d’un grand talent et d’un artisan dévoué et intègre. Il suffit de goûter cette salade de pieuvre et de pois chiches, agrémentée de dés de citron confit, présentée de manière fort savante sur une belle assiette; ou, mieux encore, cet extraordinaire croustillant de ris de veau nappé d’un jus dense et parfumé comme une essence d’Orient, avec un bouquet épicé et pourtant vaporeux. Entre les plats, on nous sert des pétoncles sur un craquelin avant d’entamer un braisé de joue de cochon au poivre de Madagascar, la viande fondante dans un jus noir comme de l’encre et exquise comme du caviar, servi avec des raviolis farcis de camembert moelleux. Il y a également le jarret de veau laqué au gingembre et à la sauge, d’inspiration méridionale, qui touche à d’autres continents tout de même avec ses notes épicées et son fenouil braisé à l’orange.

Au dessert, l’esprit gourmand du chef prend le dessus et nous réconcilie avec les péchés de toutes sortes. C’est que Jongleux était pâtissier dans une autre vie. Et le sucre n’a plus de secret pour lui. La preuve: une Tatin de dattes caramélisées qu’il sert avec une glace au basilic sur une légère croûte aux amandes. Surprenant? Un soufflé au chocolat à la manière de Marc Meneau ou de Vongerichten, cuit à l’extérieur, coulant à l’intérieur, l’est tout autant. De plus, c’est le genre de dessert dont on peut décréter sans hésitation que c’est un chef-d’ouvre et qu’il est destiné à devenir un classique. Si le chocolat vous empêche de dormir, un chaud-froid de fraises et de petits fruits de saison coincé entre deux tuiles craquantes, et servi avec une glace aux pistaches, aura vite fait de vous convaincre de céder. Voilà, tout est là. C’est superbe!

La carte des vins fait preuve d’une recherche, mais aussi d’une certaine pudeur dans un choix modeste et intelligent de petits crus raisonnablement facturés, à la bouteille ou au verre. En salle, l’attention et la courtoisie prédominent, avec un service entièrement au féminin, suave et rigoureux. Quand on dîne chez Jongleux, on défait un bouton de la ceinture, certes, car cette cuisine n’est pas minceur. Mais que diable! on n’a qu’à faire une longue marche pour oublier ces quelques grammes. Cependant, ce sont des grammes vertueux qui n’auront pas fait subir des assauts pervers à votre portefeuille: un peu moins de cent dollars à deux, avec les taxes et le service, pour un repas d’une finesse admirable, digne d’un étoilé. L’un de nos rares et de nos meilleurs.

Jongleux Café
3434, rue Saint-Denis
Tél.: (514) 841-8080