Un salon coquet avec, en plein centre, un foyer métallique qui se profile jusqu’au plafond. Tel est le décor qui nous accueille et dont nous retiendrons surtout l’immense tableau couvrant presque tout un pan de mur. L’artiste Bruno Côté a transposé ce que nous aurons sous les yeux, une fois dans la salle à manger: l’un des plus beaux panoramas de Charlevoix. En effet, érigée à flanc de montagne, La Pignoronde émerge d’une profusion irrégulière de feuillage qui semble dévaler jusqu’au fleuve, jusqu’à la baie où s’ancre l’île aux Coudres. Sauf celle qui nous est réservée, toutes les tables sont prises. Certains mangent déjà et conversent tout bas; d’autres se font expliquer le menu. Quelques fumets égarés vous accrochent l’odorat au passage, discrets, imprécis rien que pour vous intriguer les sens. Une fois de plus, je me rends compte que j’adore le murmure des salles à manger comme d’autres aiment le son du cor, le soir, au fond des bois. Alors que nous nous asseyons, la jeune serveuse nous propose l’apéro. Nous l’avons déjà pris. Et plutôt deux fois qu’une. D’où la bonne humeur qui nous anime depuis le début de l’après-midi et que nous avons tout de même ranimée d’une sympathique bouteille de vin après une sieste bien méritée. Et voici de nouveau réunis quatre ventres affamés qui n’ont d’oreilles que pour les histoires de bouche. Serge se préoccupe surtout du vin, car il entend fêter chaque minute de ses vacances. Il opte pour du rouge, Michèle l’appuie. Ils se partageront un Château de Gourgazaud. Nous votons, Céline et moi, pour un Bourgogne Aligoté. Nous trinquons deux ou trois fois avant de passer commande, mais n’attendons pas bien longtemps nos premiers plats. Mon pâté de foie de veau surprend par l’aspect et par le goût; autant il paraît sec, autant il est moelleux en bouche. Céline a préféré la fraîcheur d’une salade du verger et du jardin qui recueille un avis unanime et peu favorable: la vinaigrette aurait beaucoup gagné à être moins acide, un peu plus huileuse peut-être. Michèle et Serge, quant à eux, se félicitent d’avoir choisi la coquille St-Jacques, chaude, riche et délicieuse. Et les occasions de trinquer se multiplient à mesure que nous nous remémorons notre journée, pique-nique et casino en tête. C’est le potage Beaucaire qu’on amène à Michèle: cubes de poulet, poireaux et orge, dans un bouillon qui ne manque pas de personnalité. La crème jardinière de Céline est tout aussi savoureuse. Toutefois, Serge et moi restons perplexes après notre première cuillerée de consommé double (volaille et boeuf). Un peu de sel, peut-être? Nous salons. Triste verdict: le consommé n’a pas de goût (comme s’il avait été trop allongé d’eau à la dernière minute). Le vin, lui, en a, pour notre plus grand bonheur. La suite fait davantage honneur à la réputation de La Pignoronde. Céline et moi avons droit à une très belle tranche de coulibiac, orgueil de la maison, accompagnée de chou rouge, de pâtissons en morceaux et d’une purée de panais. Une côtelette de veau pour Michèle et du magret de canard pour Serge. Nous avons une fois de plus sursauté quand la serveuse nous a souhaité «une bonne appétit» (sic). Il faudrait peut-être lui expliquer? Quelques lampées de vin et nous n’y penserons plus. Serge nous rappelle avec force jovialité que la vie est belle et qu’elle devrait toujours ressembler à cette soirée où la chère est délectable et nos palais comblés. Nous nous trouvons dans les meilleures dispositions pour refaire le monde. Ce doit être pareil à chacune des autres tables, au moment où la joie de vivre prend un air «songé» pour refaire le monde. Nous échangeons des bouchées dans tous les azimuts. Un morceau de magret se retrouve à côté de mon coulibiac, lequel a déjà transféré une partie de lui-même dans l’assiette de Michèle, et ainsi de suite. Nous tâtons de toutes les sauces, inlassables et curieux, lorgnant déjà en direction des desserts que l’on dépose ici ou là. C’est bientôt notre tour. Gâteau au fromage et chocolat, tarte au sucre maison, crêpe aux bleuets, plus une magnifique tulipe de pâte givrée servie sur un coulis de griottes. Une minuscule fleur mauve, jaune ou orangée décore chacun d’eux. Rien ne subsiste dans les petites assiettes qui repartent un peu plus tard en direction des cuisines. Des cafés bien corsés nous aident à nous rappeler longuement tout cela. Pour conclure enfin, nous siroterons un «vin de glace», offert par la maison, et nous laissant conter la petite histoire de l’auberge.
Auberge La Pignoronde
750, boulevard Mgr-De Laval
Baie-Saint-Paul (Québec)
Tél.: (418) 435-5505 et 1-888-554-6004
Table d’hôte: 27 $