Restos / Bars

Sho-Dan : Bouchées de soleil

Les temps sont durs pour les amateurs de cuisine japonaise. Nous fermons les yeux sur des sushis préparés d’avance, sur des sauces trop sucrées, sur des menus calqués les uns sur les autres, sur de la goberge baptisée «crabe» – faux ou non -, sur des nouilles chinoises servies dans de la faïence taiwanaise. Vraiment, où sont passés les Japonais?

S’il devait y avoir un code d’honneur dans les restos japonais du Canada, comme il y en a à Tokyo, le hara-kiri serait courant.

À Montréal, ce n’est plus un secret pour personne: les meilleurs chefs sushis sont bien souvent vietnamiens. Cela tient peut-être à leur doigté, leur délicatesse, leur sens de l’assaisonnement. En tout cas, si quelqu’un doit préparer les sushis, il vaut mieux que ce soit eux. Voilà pourquoi je suis entré sans crainte dans ce nouveau restaurant du centre-ville qui ne prétend pas être authentique, mais qui se prétend «conceptuellement japonais». C’est lui qui le dit.

Esthétiquement, le Sho Dan montre une austérité typiquement nipponne dans son décor, mais s’occupe des postérieurs typiquement occidentaux avec ses chaises confortables. Dans des tons de beige, de crème au beurre, de blanc, des serveuses habillées comme des geishas (si elles savaient) se déplacent à petits pas sur un beau parquet à travers des tables un peu trop rapprochées. Un grand escalier en colimaçon, style Hollywood, descend au beau milieu du restaurant et lui donne un peu de verticalité. Le sushi bar est une solution, si on est seul et déprimé.

La carte propose des sushis et des sashimis d’une assez bonne variété avec les accompagnements de wasabi, d’algues et de gingembre confit d’usage, et quelques grillades que nous avons fait précéder de dumplings à la chinoise (rappelez-vous, ce resto n’est qu’un «concept» japonais). Notre serveur nous a aussi suggéré le spécial de la soirée, un truc d’une appellation pour le moins inouïe: une pizza-sushi. Il faut quand même le faire. Je connaissais cette mode toute montréalaise de mélanger les genres dans une même salle, mais dans un même plat, cela relève de la fanfaronnade. Ce plat devait être ou spectaculaire, ou catastrophique. Heureusement, cette «pizza» qui n’en était pas une, mais une pâte de riz croustillante, nappée d’une sauce douce et coiffée de tranches de thon frais et cru et de saumon légèrement fumé, s’est révélée une surprise aussi agréable qu’excentrique. Nous l’avons à ce point adoptée qu’il nous a fallu en reprendre deux fois. Autrement, parmi un choix éclectique, je retiens les sushis frits (eh oui!) au goût fin, à la texture croquante et sans la moindre trace de gras; le kamikaze qui mélange des avocats et du poisson épicé; le hotategai avec des pétoncles si frais qu’on les dirait juste pêchés; de l’oursin (mon préféré) fondant et au goût subtilement iodé; du thon à queue jaune – chouchou des chefs sushis de ce temps-là – préparé avec des échalotes émincées ou en sashimi, toujours d’une épatante fraîcheur; et une spécialité de saumon, de tempura et de curry, enroulée dans les algues nori, baptisée Bangkok.

Bien que son menu soit un peu iconoclaste, tout est préparé avec grand soin au Sho-Dan et présenté dans de la jolie faïence. Et même si le personnel est un peu dépassé, il garde le sourire et fait même un peu de l’esprit pour nous faire oublier qu’il patine un peu. Vous ne sortirez pas de là le ventre vide, mais peut-être avec le portefeuille légèrement amaigri – le poisson coûte plus cher que le filet mignon. Comptez environ 60 $ pour deux avec les taxes et le service, avant le saké.

Sho-Dan
2020, rue Metcalfe
Tél.: (514) 987-9987

Amuse-gueule
L’une des meilleures façons d’apprendre ce qu’est l’authentique cuisine du pays du soleil levant est de lire l’ouvrage de Marianne Comolli (l’une des sours Scotto), Saveurs du Japon, publié chez Albin Michel. Il faut passer à travers ce livre extraordinaire – dont les photos sont elles-mêmes des ouvres d’art – pour plusieurs raisons, mais d’abord parce qu’il est écrit en collaboration avec Hirohisa Koyama, l’un des chefs les plus reconnus dans son pays, une espèce de croisement entre Daniel Pinard et Paul Bocuse. L’auteur anime d’ailleurs chaque semaine à la télé japonaise une émission de cuisine extrêmement populaire. Fidèle à l’esprit de la haute cuisine kaiseki, Koyama présente ici des recettes imaginatives (une rareté) qu’il accompagne d’explications détaillées sur la nature des poissons, des algues, du gingembre; bref, tout ce qu’il faut savoir sur cette gastronomie un peu déroutante et rarement réussie par des non-Japonais.