Pour spectacle, un coucher de soleil sur l’eau. Nous devrions peut-être prendre le temps de le qualifier – magnifique, superbe ou romantique -, mais la carte nous met d’autres mots à la bouche. «Saisi de cailles au miel et porto», «millefeuille de brie au chicoutai», «soupe de moules en croûte», «andouillette en feuilletage de Christophe Chevalier à la crème de moutarde»… Ce sont là des mots d’amour quand on aime manger. Pour la troisième année d’affilée, nous voici, un soir d’été, dans cette même salle à manger aux murs lie-de-vin qui se teintent d’aubergine dans les coins moins éclairés. Créative et sans cesse renouvelée, la cuisine du chef lyonnais nous avait conquis dès la première fois. Des tableaux et des sculptures de bois (oies et canards) se relaient ici et là. Près de nous, une longue-vue montée sur trépied vise tranquillement le fleuve. Notre premier verre de vin a estompé la rumeur ambiante et nous en arrivons presque à oublier que la pièce est bondée. À nous, donc, les odeurs, les fumets de tout ce qui se mange autour – noix de ris de veau laquée aux petits oignons, pintadeau au safran à la printanière, croquettes d’ail escortant un magret de canard grillé dans sa peau, trilogie de lapin aux coquillages. Cette dernière fait justement les délices de ma compagne: la sauce est gouleyante; les chairs, savoureuses et cuites à point, fondent littéralement dans la bouche. Il va sans dire que tout y passe de belle façon – aussi bien l’épaule et le foie que le râble farci aux légumes et à la volaille. Il n’y a plus dans l’assiette que des coquilles de palourdes, alors que, de mon côté, j’administre le coup de grâce à ce qui fut un «flétan rôti à l’arête, moelle à la coque et jus de veau» – un parfait équilibre de goûts et de parfums. J’avais commencé par une crème de brocoli, délicatement assaisonnée, où il eût été sacrilège d’ajouter même un grain de sel. Et, dans un inexplicable accès d’enthousiasme, je m’étais soudain pris d’affection pour la salade choisie par mon invitée… Maintenant que le fluve est tout noir, même pas piqué d’une vague lueur, il fait encore beau dans nos dernières assiettes. Notre dessert se présente comme un «chaud-froid de fruits de saison (fraises et bleuets) caramélisés au sucre d’érable» et s’accompagne d’un sorbet au citron et d’une crème anglaise. Nous mangeons très lentement pour prolonger encore le plaisir d’être là, et je fais miens ces mots tirés d’un texte de Marie Blanchet figurant sur la carte avant l’énoncé des plats: «Comme j’étais bien ici… Comme c’était bon ici… Il faut que je revienne!»
Restaurant La Paysanne
497, avenue des Pionniers Est
L’Islet-sur-Mer (Québec)
Tél.: (418) 247-7276
Tables d’hôte: 15,75 à 32,18 $
Souper pour deux (incluant taxes, boissons et service): 106,19 $
Le Gourmet au jardin
Fleurs comestibles, fines herbes, petits fruits… C’est ce que cultive Anne Gardon dans son grand jardin; c’est également ce qui lui inspire ses recettes originales, des plats de belle allure qu’on imagine aussi agréables au palais qu’ils le sont à la vue. Mais sa cuisine n’est pas strictement végétarienne. On ne sera donc pas surpris que des médaillons de chèvre au basilic concluent la section des Hors-d’oeuvre et entrées, après les boutons de tournesol en vinaigrette, les beignets de fleurs et d’herbes, les hémérocalles farcies et les rouleaux de printemps à la menthe. Potages, Plats légers, Viande et poisson, Douceurs, tout s’avère d’une extrême simplicité… dûment préméditée, si l’on en croit l’auteur: «Pour moi, cuisiner est avant tout un plaisir, une détente. Un bon repas est un cadeau que j’offre à mes invités et non une démonstration de prouesses culinaires.» De la «crème froide à l’avocat et à la coriandre» au «gâteau de riz à la verveine», on passe par une gamme de couleurs, de nuances et de saveurs: «risotto au souci», «pizza aux capucines», «filets de truite à l’effeuillade de tulipes», «jarrets d’agneau à la compote d’oignons et de pommes», «crpes au sureau», etc. Photographe talentueuse, Anne Gardon illustre elle-même son livre – son très beau livre.
Le gourmet au jardin
d’Anne Gardon
Guy Saint-Jean éditeur
2000, 120 pages