Montréal, qui compte depuis longtemps une importante communauté marocaine, devrait connaître cette cuisine à fond. Mais comme le veut la tradition, la meilleure cuisine se fait à la maison, et quand les Marocains mangent à l’extérieur, ils choisissent l’italien ou le français. Ils gardent leurs recettes familiales pour la famille, leurs petits secrets gourmands pour les intimes. Résultat: la cuisine marocaine reste une quasi-inconnue en ville. Trop peu de restos font authentique, et les menus de ceux qui s’essaient s’en tiennent en général à quelques plats clichés: couscous, tajine, méchoui…
C’est le cas de La Menara, un restaurant qui sévit dans le Vieux-Montréal depuis une vingtaine d’années, tout en continuant d’offrir une formule unique (à 28 $) composée de plusieurs services, comme cela se fait souvent dans les restaurants chic des médinas marocaines. L’avantage: n’ayant pas le choix, on se laisse prendre par l’exotisme et l’inconnu. Le désavantage: si l’on n’a pas ou peu faim, impossible de choisir autre chose. C’est que ce menu présente un éventail intéressant de cette cuisine sans faire de compromis, il est vrai, mais sans non plus faire quelque effort d’originalité. Ce qui n’est pas le cas côté décor, où la couleur locale est poussée à l’extrême avec des banquettes de velours orangé sur lesquelles on peut s’étendre, des tables de cuivre, des kilims accrochés aux murs et d’autres suspendus aux plafonds, des lampes mauresques, des colonnes de mosaïque et une musique arabisante. Bien que le tout soit légèrement décati, et que le mobilier ait acquis une certaine patine, l’endroit est exotique à souhait et décoré dans un esprit de luxe mondain tout à fait dans la note.
La harira, une soupe poivrée et citronnée normalement consommée pendant le ramadan, est épaisse, chaude et épicée avec soin; et, plutôt que du vermicelle, on lui ajoute de l’orzo, cette pasta grecque qui ressemble à du riz. On la fait suivre de trois salades: un sauté d’aubergines et de tomates parfumé à la coriandre fraîche et à l’ail, bien arrosé d’huile d’olive et servi froid; une salade de carottes cuites assaisonnées à la cannelle, au cumin et dans laquelle je détecte une note d’eau de fleur d’oranger; et, enfin, la salade classique de tomates, de concombres et de poivrons verts coupés en petits morceaux. Ces salades s’accompagnent de véritable pain marocain – une rareté. Puis on apporte deux pastillas individuelles, sous une croûte feuilletée et craquante, farcies d’une mixture à base de poulet, de safran, d’oeufs et d’amandes, et parfumées à la cannelle. Une surprise à la fois douce et salée. En plat, une bonne portion de gigot d’agneau frotté au cumin et à l’ail et rôti, le méchoui, et un tajine de poulet aux olives et au citron confit, deux incontournables classiques, sont succulents en tous points et présentés de manière élégante dans des tajines de terre vernissée. On apporte aussi deux plats de semoule avec des légumes. Comme si ce n’était pas assez, on conclut sur un briouats aux amandes, bien caramélisé, et un pot de thé vert à la menthe, aussi sucré qu’à Casa. Ce repas très satisfaisant peut se métamorphoser en spectacle surtout quand il y a foule et qu’on y présente des danseuses de baladi qui font rouler leurs muscles du ventre lascivement pendant que vous avalez vos délices. Le service traîne un peu, mais il est courtois. Pour deux repas de sultan, avec les taxes et le service, mais sans vin, il faut compter 75 $.
La Menara
256, rue Saint-Paul Est
861-1989
Amuse-gueule
Paula Wolfert, une Américaine ayant vécu au Maroc pendant une vingtaine d’années et qui a publié en 1973 le meilleur ouvrage de cuisine marocaine jamais paru (malheureusement jamais traduit en français), Couscous and Other Good Foods from Morocco, a ainsi recensé des centaines de plats complètement oubliés des professionnels de la restauration. Vous pensiez qu’il n’existait qu’une façon de faire un tajine de poulet? Wolfert a recensé cinquante recettes, originaires uniquement de la ville de Tétouan. Une recette pour la salade d’oranges? Elle en inscrit sept versions. La pastilla, impossible à réaliser? Elle donne en détail, et en trente et une pages, toutes les étapes de sa fabrication en plus de présenter les versions de Fez, de Tétouan et d’Essaouira. Une bible, encore disponible en réédition dans les librairies anglaises de la ville, ou sur le site Amazon.com. En revanche, on trouve encore, sur les tablettes de quelques libraires, le remarquable ouvrage de Fatéma Hal intitulé Les Saveurs et les Gestes (Stock), un livre d’ethnologie et de cuisine qui a le mérite de présenter les spécialités de cuisine familiale par thèmes (épices, salé, sucré, couscous, thé) plutôt que par catégories d’aliments. Et finalement, publié chez Köneman (dont le distributeur est le libraire Le Temps de lire, 3826, rue Saint-Denis, 284-3196), un titre passe-partout, La Cuisine du Maghreb, d’Hilaire Walden. Pas cher et assez bien écrit, un livre à couverture souple qui présente une bonne introduction aux cuisines de l’Afrique du Nord.