Restos / Bars

Le Sainte-Victoire : Profession de foie

La montagne de la Sainte-Victoire n’a pas inspiré que Cézanne. L’imposant massif calcaire donne son nom à cet établissement relativement nouveau, et c’est également lui qu’évoque le tableau de Monique Guay accroché sur l’un des murs, dans une rutilante allée conduisant aux salons semi-privés, tout au fond du restaurant. Abstraits pour la plupart, et signés Aristide Gagnon, d’autres tableaux s’affichent ou se cachent un peu partout. À cela s’ajoutent des tons de bourgogne, d’ocre et de bois clair, de hautes et lourdes tentures grenat, d’immenses baies vitrées qui prennent vue sur le boulevard Charest. Dans la plus petite des salles à manger, côté bar, c’est un gigantesque casier à bouteilles qui retient l’attention, avec ses apéros, ses vins et ses portos. Attablés tout près, nous cherchons l’inspiration parmi les rubriques d’une carte d’allure dépouillée qui n’en est pas moins bien garnie. À «L’avant-scène» se profilent potage du jour, terrine de gibier et confit de légumes maison, calmars frits, aumônière de chèvre et épinards, tandis que «Les scénarios» et «L’entracte» y vont de leurs cuisses de canard confites et polenta crémeuse au parmesan, foie de veau de Charlevoix au vinaigre de framboises, pot-au-feu d’agneau du Québec (jarret et foie), bavette de boeuf et risotto aux champignons, pavé de flétan, longe de thon grillé, côte de porc marinée… «La tombée du rideau», on l’aura deviné, regroupe les desserts: nougat glacé aux fruits confits, mille-feuilles aux trois chocolats, tarte tatin… et le toutim. Des rires et des éclats de voix nous parviennent de la grande salle, presque bondée en ce mercredi soir. À en juger par la fébrilité des deux serveurs, l’affluence n’était pas prévue. Nous passons commande sans trop atermoyer. Le vin nous est servi presque tout de suite, en l’occurrence un demi-litre de Fontana di Papa. Nous attendons un peu, beaucoup… passionnément affamés. Mon entrée s’amène enfin: rillette de faisan (oui, au singulier) en lasagne à la moutarde et au romarin. Le nom me plaît, son parfum aussi. La présentation, originale, fait penser à un hamburger, mais là s’arrête la comparaison. La sauce brun clair qui l’accompagne, un peu douce, lui donne du goût; elle n’en aurait pas beaucoup sans cela, malgré les épices et aromates. Manque de sel et de poivre peut-être? Quant au potage du jour (crème de navet) qu’attend mon invitée, il n’arrivera jamais: la commande ne s’est pas rendue aux cuisines. En contrepartie, on nous présente mille et une excuses. Les choses se passent un peu mieux par la suite. La grande salle se vidant, la petite bénéficie conséquemment d’un surcroît d’attention. Brandade de morue, sous la forme de trois grosses croquettes, bonnes et chaudes: mon invitée en oublie presque l’incident du potage. Elle croque avec passion ses feuilles d’endives farcies d’une sauce épaisse, de consistance presque pommadeuse, variation personnelle du chef sur le thème de la rouille. Voilà bien l’une des rares fois où j’accepte plus d’une bouchée d’endives! On vient renouveler notre corbeille de pain que j’ai vidée. Je me soûle littéralement d’un tartare de saumon accompagné de fines rondelles de pomme de terre ajourées, ni molles ni croquantes, fort agréables sous la dent. Nous mangeons sans trop parler, mon invitée et moi, mêlant parfois nos rires à ceux qui montent de la tablée voisine. Un peu plus loin, près de l’entrée, un couple silencieux termine sa bouillabaisse et sa côte de porc marinée. Nous en faisons de même avec nos verres de vin. Quand le serveur nous revient pour desservir, il a ce cri du coeur: «Il n’en reste pas beaucoup!» Nos assiettes sont vides, en effet, presque immaculées. Nous rêvons déjà d’une petite promenade digestive, mais nous ne nous en tirons pas à si bon compte. Notre serveur insiste pour nous offrir lui-même le dessert, «… vu que Madame n’a pas eu son potage». C’est donc une crême brûlée aux pommes et noisettes caramélisées qui clôt notre soirée, prétexte supplémentaire à une longue marche «allégeante».

Le Sainte-Victoire
380, boulevard Charest Est
Québec (Québec)
Tél.: (418) 525-5665
Tables d’hôte à partir de 22,45 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 59,75 $