Dans le souvenir, dans l’imaginaire et dans les faits, il n’y a évidemment pas plus espagnol que ce restaurant à la fois… italien et français. Si les spécialités ibériques avaient disparu de la carte, j’ignore ce qui aurait pu me consoler. Mais non, elles sont bien là. Et très hospitalières, dois-je ajouter, puisqu’elles ont fait de la place (beaucoup de place) aux pâtes, pizzas, sole de Douvres, canard à l’orange, etc. Cela a dû se faire en douce, à coups de petits rajouts hebdomadaires ou quotidiens, je n’en sais rien. Bref, je me sens un peu dépaysé, car je n’ai pas mis les pieds à La Caravelle depuis belle lurette. L’odeur des fruits de mer m’accueille comme une bouffée de sympathie. La première salle à manger est bondée, mais ce ne sont pas les visages que je remarque. Les assiettes. Belle et multiple coexistence pacifique de moules noires et de homards rougissants! Partout. Nous gravissons une ou deux marches, mon invitée et moi, à la suite du serveur qui nous guide. Nous traversons une deuxième salle à manger avant de nous retrouver dans une autre, plus petite, décorée de grands tableaux lumineux. Les fumets nous ont suivis jusque là, de même que la voix du chanteur, à peine entrevu, qui se promène entre les tables en jouant de la guitare. Sur le manteau de la cheminée trône, entre lampes et bibelots, une imposante bouteille de Moët et Chandon – un nabuchodonosor? – qui m’incite à demander au serveur si la maison sert encore son fameux «cocktail Caravelle». ¡Claro que sí! Je suis preneur. Il s’agit d’un mélange de mousseux, de cointreau et de tequila, servi avec une tranche d’orange dans un gros verre ballon plein de glaçons, au pourtour givré de sel. La surprise à tous les coups. Il mériterait les applaudissements qu’on entend monter, au loin, sans doute à l’adresse du troubadour de la maison. Autour de nous, les conversations s’animent, particulièrement à la table de six personnes où filet mignon, chaudrée et escalope de veau forestière font un grand bonheur. Après avoir trinqué avec mon invitée, nous échangeons nos verres, le temps de quelques gorgées – le temps pour moi de trouver bonne sa sangría, foncée sans être opaque – bien que je la préfère un tantinet plus sucrée. Quant à ce que je mangerai, c’est décidé depuis deux jours. Je ne parcours la carte que pour la forme – et pour ronchonner un peu, tout bas, contre ce que j’appelle l’invasion du spaghetti. J’esquive donc pizzas et pâtes – qui ne semblent d’ailleurs pas sortir de l’ordinaire; j’esquive également ce qui m’aurait peut-être tenté en d’autres circonstances, côtes de porc au miel, gigot d’agneau aux herbes et quelques hors-d’oeuvre dignes de mention tels que le parfait de foie à la fine d’Alsace, le poulpe à l’española et la salade de poulpe à l’orange. Quant à mon vis-à-vis, elle se commande en entrée une sage salade: radicchio, laitue, tomates et endives dans une vinaigrette à base d’huile d’olive et de jus d’orange. Entre-temps, l’ambiance s’est farcie quelques décibels de plus, dont plusieurs qui fusent en anglais dans tous les azimuts. Nos plats s’amènent et je m’apprête à pousser des vivats… mais je ne reconnais pas la paëlla de La Caravelle. Belle, appétissante, parfumée, mais… La récession a dû frapper fort dans le coin! Peut-être ai-je eu tort de connaître celle d’avant, imposante, que je n’arrivais pas toujours à terminer. Dire que je n’ai même pas pris d’entrée! Je goûte. Le riz est cuit à point, dans un bouillon savoureux; il est hérissé de moules et truffé de crevettes, rondelles de calmars, tomates et poivrons. Un demi-homard complète la présentation. Une bonne paëlla, certes, mais je l’ai déjà connue exceptionnelle. Quelques mais plus tard, voilà qu’en moi-même je fredonne «qu’est-ce qu’on a fait du safran?» sur l’air de… Incendie à Rio. Je pourrais en dire autant du rince-doigts (qu’il me faut demander deux fois avant qu’on me l’apporte). Mon invitée? Elle se porte comme un charme et il y a de quoi – en l’occurrence, un lapereau farci, mouillé de sauce au porto, accompagné de pommes de terre, de courgettes, de poivrons et de tomates grillés. Je me fais une saine joie de partager son plaisir, de même que nous partageons peu après nos desserts, gâteau au fromage et flan au caramel.
La Caravelle
68, rue Saint-Louis
Québec (Québec)
Tél.: (418) 694-9022
Tables d’hôte à partir de 19,95 à 35,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 110,08 $