Restos / Bars

Jean SoulardNaturellement : Les mots de la faim

En cette période d’entourloupes transgéniques subventionnées, il vous faut cette bouffée d’air pur! Il vous la faut. Et, rassurez-vous, ce livre ne vous balance pas le mot «santé» au visage à chaque ligne. Il ne prétend pas guérir vos rhumatismes, soulager votre foie ou vous faire vivre deux cents ans. Vivre tout simplement, oui. Dans la courte préface qu’il consacre au dernier ouvrage de Jean Soulard, Philippe Borel fait à juste titre cet éloge: «Simplicité d’un Romanée-Conti, simplicité d’un adagio de Mozart, simplicité d’une recette de Soulard […] Bon appétit. Vous serez heureux.» Le titre lui-même est un modèle de concision: Naturellement. Bien que renouvelé et rafraîchi, on y reconnaît aisément le style culinaire qui rappelle à la fois la sagesse de La Santé dans les grands plats et l’audace de Comme au Château. L’auteur évoque en quelques paragraphes la campagne où il a grandi dans le respect absolu des produits du terroir, «à l’image d’une tradition familiale solidement établie». De superbes et salivantes photographies, signées Roger Côté, illustrent les neuf sections respectivement consacrées aux recettes de base (suivies d’un glossaire), aux soupes, aux entrées, aux poissons, crustacés, etc., jusqu’aux desserts, aux confitures et aux divers pains (traditionnel, intégral, aux noix, fougasse et brioches). Mille-feuille de pétoncles fumés, foie de veau à l’embeurrée de chou, crème de lentilles, crabe et foie gras, crème de lotte aux gourganes et parfum de citronnelle… Impulsif que je suis, me voilà chez le poissonnier, puis de retour dans ma cuisine. Pour essayer le filet de sole à l’écorce d’orange et au parfum de menthe (p. 68), tandis que mon amie se lance, elle, dans la confection des «Petits pots de ma grand-mère» (p. 144) – dont elle réalisera trois des quatre saveurs suggérées. Et, tandis que nous soupons Soulard, nous continuons de feuilleter et de commenter Soulard. Au moment du dessert, mon amie laisse échapper un cri du coeur: «Heureusement qu’il y a des gens ("Jean"?) comme ça qui existent!»

Naturellement,
par Jean Soulard
Éditions Jean-Soulard
1999, 174 pages

Des histoires à croquer
Existe-t-il sur terre un seul livre qui ne fasse allusion à l’alimentation? On peut en douter. Cuisine et littérature ont de tout temps fait bon ménage. On pourrait multiplier les exemples et même remonter aux poèmes chinois du troisième siècle avant J.-C. qui font l’éloge de mets succulents. Ce serait bien inutile ici, puisque Des histoires à croquer s’inscrit dans une tradition plus récente d’auteurs modernes, de Laura Esquivel à Yves Thériault, en passant notamment par Vasquez Montalban et Karen Blixen. L’ouvrage est constitué de vingt-quatre «histoires», c’est-à-dire de courts textes plus proches de l’anecdote que de la nouvelle. Le seul point commun entre elles: un de ces plaisirs de bouche qui peuvent porter tous les noms qu’on voudra, plat, mets, dessert, friandise, gourmandise, etc. Chaque histoire est suivie d’une recette -celle qu’on attribue par mégarde à Céleste Urbain, celle d’une soupe improvisée («Soupe à quoi?») ou celle de la «vraie sauce au caramel, chaude, celle qu'[on] jette sur de la crème glacée dans les moments pénibles, et qui recolle tout». Les auteures, Françoise Dumoulin et Ghislaine Lavoie, s’étaient fixé un but simple: «faire lire et rire». Souhaitant «blanchir les idées noires» et «napper les petits pépins de l’existence», elles taquinent ici, égratignent là et se poilent (permettez l’expression) quand il s’agit du brave «Réjean Therrien, électricien de son métier» qui fait le tour des «cadres possibles» pour une nouvelle destinée à la revue Érosticos… ou à la chronique «Bon Appétit» du journal local. De quoi s’agit-il? Des «Petites culottes mangeables… avec ou sans coulis». Souvent, il n’y a pas loin du sourire au rire. Ni thèse assommante, ni tortueuse idéologie, ni théorie alambiquée, mais de bons petits moments de plaisir, des plaisirs qui ont pour nom «Le vacherin de Véra», «Le péché capital à l’orange», «Le confit d’oie de la gourmande» et j’en passe.

Des histoires à croquer,
par Françoise Dumoulin et Ghislaine Lavoie
Les Éditions JCL inc.
1999, 166 pages.