Restos / Bars

Chez Toto : Ti' zoizeau fé ni!

Chez Toto, petit bistro du Nord de la ville, porte le surnom de sa sympathique patronne, Antoinette. Au milieu d’une foule basanée, on y mange très bien et pour pas cher.

Montréal, qui compte une communauté haïtienne importante – plus de soixante-quinze mille personnes -, n’a toujours pas découvert la cuisine haïtienne. Contrairement à certaines villes américaines comme Miami ou Washington, ce n’est pas considéré comme chic, ni à la mode ici; les Antillais ne sont pas encore trendy. Pourtant, quand les commerces haïtiens et les restos se mettent à attirer des pure laine et des moins pure laine, tout ça ressemble de plus en plus à une société où les différences s’aplanissent, et c’est tant mieux.

Pour se convaincre de ce rapprochement des cultures, il suffit de s’installer Chez Toto, petit bistro du Nord de la ville qui porte le surnom de sa sympathique patronne, Antoinette. Au milieu d’une foule basanée, quelques visages font… pâle figure. Mais tout ce monde rigole, s’amuse bruyamment dans le troquet décoré à la Réno-Dépôt, tableaux naïfs aux murs. Pour un instant, on oublie qu’il fait gris dehors et les délicieux accents «cwéoles», tant de la cuisine que des employés, nous rappellent que le soleil brille encore en certains coins de la planète. Mais n’allez pas conclure qu’on ne vient ici que pour faire la conversation: on y mange très bien et pour pas cher. Et on peut décider d’y faire une petite fête les samedis, lorsque l’établissement propose un «bouillon» qui attire, avec raison, les Haïtiens de toute la ville. Ce pot-au-feu tropical a des vertus thérapeutiques identiques au «bouilli» québécois de nos grands-mères, et est composé d’ingrédients semblables, avec juste un peu plus de piment.

Cuisine joyeuse et pleine d’esprit, parfois même «brûlante», la gastronomie créole annonce aussi ses liens culinaires avec la France, l’Espagne, l’Afrique et l’Amérique à travers les aliments qu’elle utilise: piments forts, morue séchée, chèvre, poulet en sauce, patates douces, mollusques cuits à l’étouffée, riz, haricots, banane plantain et noix de coco.

On amorce le repas avec de toutes petites mises en bouche, présentées avec soin sur du papier absorbant le gras: les acras de Port-au-Prince: des beignets de poisson blanc frits dans l’huile, bien croquants et tout à fait succulents; des ailes de poulet épicées et frites; et un bol de bouillon bien chaud, rempli de viandes et de légumes.

En plat, les griots, en fait un ragoût de viande de porc, sont cuits en deux étapes. Braisés longuement dans le jus de lime et d’orange avec des piments et de l’ail, puis frits dans l’huile, les petits morceaux de porc sont croûtés et savoureux. Le tassot de bœuf est une variation sur le même thème, mais la viande est cuite longuement dans un court-bouillon très parfumé et épicé. Plat emblématique dans les Antilles, le lambi, quand il était en vie, nous faisait entendre la mer dans son coquillage géant. Sa popularité pourrait aussi être due au fait qu’on lui attribue des vertus aphrodisiaques… En Haïti on préfère ce cousin géant de l’escargot bien battu pour l’attendrir, puis sauté avec des tomates, de l’ail, des piments forts et du jus de lime. Cela n’empêche pas d’utiliser sa coquille pour des fonctions rituelles. On sert toutes ces spécialités sur un lit de riz «collé» mêlé à des haricots, et accompagnées de rondelles de banane plantain frites et croustillantes dont on pourrait facilement abuser ainsi que de quelques feuilles de laitue. Les desserts (banals) ne feraient que compromettre ce repas copieux; l’abstention est donc de mise.

On peut trouver Chez Toto un bon échantillon de ces spécialités dans un chauffe-plat de métal, lors du buffet du samedi soir. Pas la meilleure idée qui soit, mais puisque c’est pour la bonne cause, on lui pardonne. Préférez tout de même le service à la carte, fait avec une douce indolence par des jeunes filles tout à fait ravissantes. Bien que la carte des vins soit pratiquement inexistante et qu’on serve un petit rouge sans intérêt, ce n’est pas une raison pour éviter ce gentil bistro plein de vie; les bières ou le ti-punch sont des solutions de rechange convenables. Comptez une soixantaine de dollars à deux, taxes, service et deux bières compris.

Chez Toto
10827, rue Pie-IX
324-9792

Amuse-gueule
L’ouvrage du Québécois Patrick Dansereau Le Livre gourmand, récemment paru aux Éditions Carte Blanche, est une délicieuse plaquette qui rend hommage aux plaisirs de la vie – le sexe, les sens, la nourriture, les plats, les grands théoriciens de la gastronomie – en un peu moins de deux cents pages qui se lisent aussi vite qu’un roman policier. Et avec tout autant de délices. Usant d’anecdotes et de citations littéraires assez savantes, et parfois grivoises, l’auteur choisit ses thèmes par ordre alphabétique et de façon complètement arbitraire: A pour aristocrate, C pour chou, M pour mousse et marché, R pour restaurant – bien sûr – et T pour truffes! Un livre sympathique et très personnel qui s’offre aisément.