Presque suspendu au milieu du lobby de l’insolite building sis au 1000, rue de La Gauchetière Ouest, se trouve un très beau restaurant baptisé Profusion. Luxueux et moderne, l’intérieur évoque presque celui de la salle à manger d’un transatlantique des années soixante, avec ses hauts plafonds, ses boiseries ambrées, et des plafonniers verticaux recouverts de tissu qui plongent au milieu de la salle en créant d’étonnants effets de volume. Le décor, bien qu’il soit un peu fastueux, est à n’en pas douter assez original. En tout cas, il n’est pas de ceux qui laissent indifférent.
Inutile de dire qu’avec une signature comme Profusion, il ne faut pas s’attendre à de la cuisine pro-classique. Mais puisqu’il n’est pas de cuisine sans «fusion» – aucune tradition culinaire ne s’est développée en autarcie -, rien de surprenant à ce que les jeunes chefs d’ici ou d’ailleurs tentent de mêler des ingrédients et des assaisonnements qui leur sont étrangers. Cela dit, les patrons de ce restaurant, grands spécialistes en cuisine chinoise haut de gamme, ont voulu encourager, sans préjudice, ce que les Français appellent les plats de synthèse, et nous, la cuisine fusion. Il en résulta une collision frontale entre l’Occident et l’Orient, plutôt qu’une rencontre pacifique. Avec une carte qui proposait des mets aux saveurs aussi confuses que la tour de Babel, et une équipe en salle manifestement sans expérience, l’aventure faillit tourner au désastre. Heureusement, on a su réajuster le tir en confiant les cuisines à une jeune chef de Hong Kong, Winnie Lau, dont l’expérience et surtout le doigté ont profité à la qualité de la table. Cette rencontre a fait jaillir de nouvelles idées, et surtout remis de l’ordre dans une cuisine désorganisée. Il fait bon goûter les plats aussi savants que désinvoltes de madame Lau, qui a peu à peu remodelé la carte à son goût. Un goût qui ne trompe pas, s’il faut en croire les associations précises et compatibles entre les saveurs, et l’esprit d’invention qui se manifeste partout.
La carte, elle, s’octroie – et c’est logique – les poissons les plus frais et des produits nobles (veau de Charlevoix, crabe à carapace molle) travaillés avec grand savoir-faire. C’est une cuisine intrigante certes, mais qui emballe, avec par exemple une tarte aux shiitake et aux noix qu’on sert sur une émulsion de câpres et de raisins; des textures crémeuses, des saveurs subtilement salées et sucrées, qui jouent des contrastes comme un contrepoint. Le crabe à carapace molle, enrobé dans une pâte légèrement craquante, se mange en entier, de la tête aux pattes en quelque sorte, et révèle une chair onctueuse et sucrée. Il se présente avec un émincé de citron confit parfumé au basilic, ce qui lui va à ravir. Parfaite association «Est rencontre Ouest», un tempura de crevette – une seule – est associé à une salsa de mangues, un peu sucrée, en un inhabituel tête-à-tête limpide comme un jardin zen. En plat, on nous propose un magret de canard rôti aux cinq épices, servi avec une sauce à l’orange et aux prunes tout à fait appropriée. Une association assez merveilleuse du reste, ce mélange d’épices qui sert habituellement pour laquer les canards de Pékin et autres gourmandises royales se retrouve sans heurt dans un mets d’Occident. Seule une purée de patates douces en accompagnement, un peu trop douce, pas assez relevée, casse un peu le charme de ce plat autrement réussi. La côte de veau de Charlevoix, grillée, a bon goût même si elle est un peu coriace; elle aurait bénéficié d’une cuisson moins violente que le gril. La sauce aux cèpes, aérienne et relevée d’une note acide, redonne un peu de vigueur à la viande.
On trouve d’autres idées séduisantes à la carte des douceurs, dont un cake densément chocolaté – presque un péché – ou une tarte aux pacanes et aux patates douces qu’on sert avec une glace au Jack Daniel’s. Ou encore une élégante croustade aux pommes, simple et savoureuse, qu’on termine avec délectation jusqu’à la dernière bouchée, sans culpabilité.
Si la carte des vins est savante, et si la cuisine a fait un réel bond en avant, mariant dorénavant avec habileté deux façons de cuisiner et deux cultures, le tout dans un cadre réellement splendide; on ne peut en dire autant pour le service approximatif et somnolent. Comptez environ 80 $ pour deux tables d’hôte avec le service et les taxes, avant le vin.
Profusion
1000, rue de La Gauchetière Ouest, niveau Mezzanine
399-1122
Amuse-gueule
Le chef californien Michael Chipchase, responsable des cuisines de la maison Mondavi, invité durant trois jours, la semaine dernière, par le restaurant Nuances du Casino, a compris qu’il ne s’agissait plus d’associer l’Asie et l’Europe dans l’assiette mais de garder l’ œil sur la Méditerranée – mode oblige. La carte qu’il proposait (sept services facturés 95 $, avant les taxes et le service) faisait preuve d’une étonnante pudeur et d’une retenue inhabituelle pour les cuisiniers de la Côte-Ouest. Des plats presque classiques (un peu banals même) faits de produits nobles, des recettes riches et légèrement brouillonnes avec des notes italiennes… mais une addition retentissante! Espérons que les futurs chefs invités auront plus de panache.