La cuisine française méridionale ne se limite pas à l’ail, à la tomate, àl’huile d’olive ou à la graisse de canard. De cette gastronomie aussi soumise aux saisonsque celles des autres provinces, on ne connaît bien souvent que les mets d’été ou lesplats clichés: bouillabaisse, aïoli, tapenade, pistou, salade niçoise, confit de canard.Le répertoire est pourtant bien plus riche et plus intéressant que ce que nous proposentici la plupart des restaurants qui en font leurs spécialités. Ces établissements demeurent dans le familier, comme si les Montréalais n’avaient pas le sens de l’aventure. Aufait, l’ont-ils vraiment?
À preuve, ce restaurant du Vieux-Montréal, La Fringale, qui se veut un ambassadeur duSud-Ouest, mais qui, au fond, ne fait qu’égratigner ce vaste et fertile inventaireculinaire sans vraiment nous allumer. Oui, la carte nous appelle vers le Sud; mais, unefois sur la table, les plats déçoivent tant par leur banalité que par une confection unpeu brouillonne.
Toutefois, dans cette maison ancienne aux épais murs de pierres, l’atmosphère feutrée etle cadre rustique appellent à la convivialité; ce pourrait être un refuge romantique ence début d’hiver. Mais l’enthousiasme ne résiste pas à l’assiette de «jambon de Bayonne»made in Ontario, gras et coupé trop épais pour être convenablement mâché; nous arrivons àpeine à l’avaler tant il est charnu. Il est pourtant bien accompagné – à l’italienne -de cantaloup parfaitement mûr et sucré. Autrement, un mélange de laitues bien fraîches,assez goûteuses du reste, est servi avec un croûton complètement détrempé et recouvertd’un chèvre qui tant a fondu et refondu qu’il en perd toute onctuosité. Quand on connaîtla simplicité que demande la composition d’une telle salade, pourquoi tourner les coinsronds?
On sent le même empressement à réunir les ingrédients qui composent le cassoulet: un boncuisseau de canard confit, de la saucisse un peu sèche – puisqu’il s’agirait de laversion toulousaine, qui en contient normalement – et des morceaux de porc cuits à l’étouffée dans une sauce un peu tomatée. Mais les haricots trop cuits sont lourds et sedigèrent fort mal. De plus, le plat n’est ni gratiné ni même recouvert de chapelure,comme il se doit. Ce n’est pas entièrement vilain, mais ce n’est pas un bon cassoulet,voilà tout. Le jarret de porc, cuit longuement dans une riche sauce à la tomate, seprésente avec un hachis de poireaux et de poivrons verts absolument sans goût, auquelnous devons ajouter du sel pour le ranimer. Peine perdue, ce ragoût de légumes esttristement banal, et n’aide pas à rehausser la viande, sèche et raide dans sa sauce tropriche.
Au chapitre dessert, on ne proposait qu’une «salade de fruits» ou de la mousse auchocolat; nous avons décliné. Heureusement, le service au féminin se fend en quatre, avecce brin de taquinerie et d’insolence qui fait le charme des Françaises, et nous laisse unmeilleur souvenir que les plats du patron. On vient ici pour l’aspect séduisant del’endroit plutôt que pour sa cuisine qui, sans être malhonnête dans le genre, restesimplement au-dessous de la moyenne. La carte des vins n’est pas féconde non plus; et auverre, pfuit! autant rêver! Comptez tout de même 45 $ à deux, avec les taxes et leservice, sans vin.
La Fringale
312, rue Saint-Paul Ouest
842-4491
Amuse-gueule
Lorsqu’il est question d’une Méditerranée qui évolue, on peut difficilement passer à côtéde deux jeunes chefs exceptionnels qui ont fait beaucoup pour la réputation de la cuisinedu Sud. Laurent et Jacques Pourcel sont jumeaux et ont obtenu la très convoitée troisièmeétoile Michelin au printemps 1998 avec leur restaurant Le Jardin des Sens, à Montpellier.
Cela a naturellement changé leur vie, et ils ont été soudainement propulsés au firmamentsi unique des grandes stars de la table en France: entrevues télé, magazines, livres,voyages, et un restaurant à administrer, dont les étoiles – c’est là le but – doiventimpérativement demeurer. Pour cela, il faudra rivaliser avec les plus grands et s’assurerde l’éminence de la maison. Le monde des étoilés, ultra-médiatisé en France, n’est jamaisbien généreux avec ses stars.
Cela dit, les frères Pourcel font une cuisine moderne et limpide qui révèle l’amour de lanature et qui fait honneur aux produits du Sud, et cela, sans le moindre préjugé. Unerareté dans ce métier. J’ai eu le privilège d’y goûter avant qu’ils n’obtiennent leurtroisième étoile, et j’en suis encore ému. De plus, ils viennent tout juste de publier unlivre splendide intitulé Cuisine en duo (chez Hachette, environ 55 $), dans lequel ilsproposent leur manière bien particulière d’apprêter la cuisine méridionale. Pour lescuisiniers en herbe qui s’intéressent aux vrais acteurs de la gastronomie, à ces chefs enavance sur leur temps, ce livre est un mémoire remarquable et un véritable traité sur lesproduits frais. Bien que les recettes exigent une certaine technique, elles ne sont pasirréalisables et, contrairement à d’autres, donnent des résultats spectaculaires. Cevolume ferait un superbe cadeau de Noël, tant qu’à faire!