Il y a dans le principe d’allier nourritures spirituelles et nourritures terrestres quelque chose de noble. Nouvelle tendance du moment: les librairies ne vendent désormais plus seulement de la culture à la page, mais aussi à l’assiette. Un lien métaphorique en tout cas unit ces deux nourritures: la première virtuelle, la seconde, substantielle. Aux États-Unis, où tout débute avant d’atterrir ici, la tendance est bien amorcée, et il n’y a pas une librairie qui ne fasse aussi office de café. Les chaînes, ces supermarchés de la culture, n’ont rien inventé; elles ont tout simplement adhéré à la tendance, ayant compris le potentiel que représente le fait de garder sur place leurs clients. Et deux chaînes, c’est toujours plus fort qu’une seule. On retrouve donc un Second Cup dans une grande librairie de Toronto; et Starbucks a investi les plus importants établissements de Miami beach, New York, L.A. et Boston, ainsi que Chapters au centre-ville de Montréal. Voilà de quoi satisfaire tous les appétits: celui des clients et celui des boss.
Plus prosaïque, et aussi plus intellectuel, en un sens, la librairie Olivieri à deux pas de l’Université de Montréal compte maintenant son petit coin bistro, qui a le mérite de servir de la bonne et de la fraîche cuisine. Une fois traversé l’univers des livres, on peut se laisser tenter par celui des sandwichs, des cafés et des desserts crémeux et riches que nous propose un menu inscrit sur un tableau noir, façon troquet urbain. Autrement, la solitude que procure la lecture invite aussi à la réflexion sur un délicieux boudin blanc servi avec des petites pommes de terre rissolées et un sauté de haricots verts aux légumes méditerranéens – tomates et aubergines -, qu’on peut consommer seul, au bar. Mais attention, les courts sur pattes risquent gros: la cuisine et le service s’affairent littéralement sous vos yeux, tellement vous êtes haut perchéssur des tabourets de bois!
On a également essayé un émincé de veau à la zurichoise, de facture classique mais aux saveurs franches, dont la sauce était onctueuse et richissime. La crème brûlée mérite à peine ce nom toutefois: elle est molle et liquide, bien que le goût de caramel soit splendide. Si l’ambiance est décontractée et les prix, amicaux, le service courtois et souriant est parfois débordé le midi quand la foule se bouscule au portillon. Le soir, tout glisse dans une douce euphorie, sensation qu’un verre de pinard viendra agréablement amplifier. Un bon endroit, au calme, pour rattraper le temps perdu. Comptez 35 $ à deux, tout compris.
Bistro Olivieri
5219, chemin de la Côte-des-Neiges
739-3639
Amuse-gueule
Dans l’esprit de renouveau, voici, après nos «Bistros du coeur» (23 décembre 1999), nos chefs «coup de coeur» pour l’an 2000. Cinq personnalités qui promettent d’en mettre plein la vue, sinon plein la panse, à tous ceux qui voudront bien se soumettre à leurs caprices. N’ayez aucune crainte, ce sont de vrais pros. Et le seul risque à courir est que vous deveniez «accros».
– Nicolas Jongleux
(Jongleux Café, 3434, rue Saint-Denis)
Ce jeune chef bourguignon – à peine 30 ans -est doté d’un talent inouï: celui de malaxer les parfums, d’amalgamer les saveurs, de pétrir les idées d’ici et d’ailleurs en les travaillant avec des produits de qualité. C’est la gastronomie française apprêtée à sa façon, une cuisine-signature, forte et originale.
– Marc De Canck
(La Chronique, 99, avenue Laurier Ouest)
Tout à fait hors norme, ce Belge a compris les règles de la cuisine du futur: le goût d’abord, les textures et les couleurs ensuite, et, enfin, les amalgames inhabituels. Ça donne une virile et sereine harmonie à tous ses plats. Il a aussi publié, à titre d’auteur, un très beau livre de recettes, que nous avons eu plaisir (et un peu de difficulté) à disséquer.
– Claude Pelletier
(Mediterraneo, 3500, boulevard Saint-Laurent)
Il est devenu le doyen de la Main, au royaume du B.C.B.G., le seul chef à être resté plus d’un an aux commandes d’un resto sur cette portion branchée du boulevard. Il nous sert une cuisine solide, joyeuse, et surtout sincère, qui puise aussi bien dans les terroirs d’ici que dans ceux d’Italie ou de France. Avec le sérieux qu’on lui connaît, ce chef, d’une gentillesse remarquable, n’a pas l’ego de ses voisins et pourtant immensément plus de talent.
– Zitouni
(Opus II, 1050, rue Sherbrooke Ouest)
Montréal l’avait découvert au Cercle; puis, après une thérapie choc dans un hôtel russe, il a choisi de revenir ici plutôt que de retourner dans sa Tunisie natale. Depuis, ce grand chef propose ses créations pleines d’esprit qui pensent au Sud – au Sud de la Méditerranée, bien sûr -, de la Grèce au Maroc en passant par la Provence, par le biais d’une carte aux sensations fortes et parfumées.
– Marie-Renée Goulet
(Médi Médi, 479, rue Saint-Alexis )
Quelle Québécoise pourrait donner de la cuisine libanaise une interprétation non seulement juste et raffinée, mais aussi largement dépouillée de ses connotations ethniques et populaires? Une cuisine élevée au rang des grandes sous l’oeil vigilant et avec les idées audacieuses de la seule femme chef de notre palmarès.