Si «la mode, c’est ce qui se démode», est-ce un gage de survie que de ne pas la suivre? Pour certains, sans doute. Aucune extravagance dans la carte du Vendôme, aucun dérapage dans l’italien, le tex-mex ou l’asiatique. Nous n’avons pas eu à hésiter devant quelque montage périlleux ni à brouter des pousses excentriques. Non. Une carte sage, pour ne pas dire vénérable, à l’image d’un décor qui aurait pu être austère sans la présence des tableaux colorés, des miroirs et des pans de vitrail qui semblent jeter quelque lumière sur le sombre des boiseries. Dans les collections de bouteilles qu’on aperçoit ici et là, en levant les yeux, on découvre soudain une vieille «Amphore de Provence», sinon la carapace séchée d’un gros crabe. Un détail me frappe chaque fois dans ce restaurant: le rapport entre la hauteur des sièges et celle des tables. Je n’ai ni à me voûter ni à m’étirer pour être au niveau d’une situation qui, ce midi, a pour nom «canard grillé sauce aux pêches». Ce choix ne s’est pas fait spontanément. Il faut dire aussi que je n’ai pas tout de suite examiné le menu du jour, préférant «siroter» la carte des vins (intelligente et variée), avant de m’attarder aux diverses spécialités de la maison. Filet de sole meunière, grillade de fruits de mer, sole de Douvres, pétoncles frits, veau Maréchal, brochettes, ris de veau archiduc, canard à l’orange… Des plats connus, pour ne pas dire traditionnels. Quelques-uns composent la table d’hôte qui, le midi, est offerte à demi-prix. Pour mon invitée, un verre de rouge s’impose de lui-même pour accompagner le coq au vin de Bourgogne; ce serait aussi le cas pour moi, mais je préfère un verre de blanc demi-sec. Ma compagne commence par des coeurs d’artichauts sur lit de salade au vinaigre de vin rouge; cela plaît, mais ne m’emballe pas. J’apprécie davantage ma «crêpe de frivolités au coulis de tomates», farcie d’épinards et de jambon. J’en reprendrais! Crème de navets et consommé assurent la relève avec quelque brio. Toutefois, mon propre enchantement connaît quelques ratés avec le canard grillé, que j’espérais meilleur que simplement… bon. Mon invitée a bien raison de me plaindre, elle qui se retrouve avec un coq au vin des plus réussis me consent de loin en loin quelques bouchées. Nous nous partageons, pour finir, une tranche de gâteau au café avec, bien entendu, deux vrais cafés.
Le Vendôme
36, côte de la Montagne
Québec (Québec)
Tél.: (418) 692-0557
Table d’hôte: 18,50 à 56 $
Dîner pour deux (incluant taxes et boisson): 37,40 $
Parlez-moi d’amour
Un conte de foies, sinon de fées. Une histoire d’Adour, mais aussi d’amour, comme le laisse entendre le sous-titre du livre. Certains peuvent croire que tout a été dit du foie gras; pourtant, avec Un délice nommé foie gras, Michel Delauney démontre qu’on peut encore en parler de façon originale, qu’on peut même le raconter et suivre à la trace ce «joyau de la cuisine» et «fruit suprême de la gastronomie». On remonte ainsi aux Égyptiens et aux Grecs; on s’intéresse aux Latins qui empruntèrent à ces derniers leur méthode de gavage aux figues… jusqu’au bassin de l’Adour où, rappelle l’auteur, le foie gras est affaire de coeur (au propre et au figuré). «En Adour, le canard, vivant en plein air et gavé avec soin, prend un caractère sacré» (p. 45). Aucun produit alimentaire n’a, autant que le foie gras, fécondé l’imagination des cuisiniers et des gens de lettres. Le tour du monde auquel nous convie Michel Delauney passe aussi par toutes les tables (ou presque), par les diverses techniques de gavage, les critères de qualité, les fraudes, les législations. Il cite pour mémoire des réflexions, des aphorismes, des modes d’apprêt qui n’ont plus cours et présente quelques recettes modernes de grands chefs français. Flan de foie gras, foie gras de canard aux oignons rouges, galettes au foie gras et aux morilles, hamburger de foie gras, feuillantine de foie gras à la purée de coings… Vous pensez évidemment à votre cholestérol. Rassurez-vous. Le noble produit, quoique d’origine animale, contient une matière grasse plus proche de l’huile d’olive que les graisses animales. «Par ailleurs, le Gers (une des rives de l’Adour), la Haute-Garonne et les départements limitrophes, grands consommateurs de graisses de canard, de foie gras et de confits, jouissent en France d’une mortalité coronarienne parmi les plus faibles et d’une meilleure espérance de vie» (Renaud/Lorgeril, 1994). C’est ce que d’aucuns appellent le «paradoxe français». Une fois rassurés, les inquiets s’attarderont sur le palmarès du dernier concours de foies gras (p. 60), sur les mariages suggérés par d’éminents sommeliers, et de nouveau sur les recettes, cette fois pour se laisser vraiment tenter en se souvenant que «s’il existe une règle, c’est celle de la table» (p. 115) et que «le foie gras, c’est la fête» (p. 111).
Un délice nommé foie gras,
de Michel Delauney
Les Presses du Management 1999, 120 pages