Encore un autre restaurant italien, direz-vous? La mode impose ses propres règles. Toutefois, cet établissement tient son originalité de son emplacement: il n’est pas sur le boulevard Saint-Laurent, ni sur le Plateau, mais dans Ahuntsic.
Dans la torpeur de ce quartier gris, on s’étonne de trouver quelques bistrots qui ne soient pas voués aux hot-dogs. Pourtant, nous sommes ici dans l’extension culturelle de la Petite Italie, un rassemblement de nouvelles générations qui ont déserté les anciens quartiers du centre-ville pour s’établir dans les banlieues internes. Et qui dit Italie dit généralement bonne cuisine, bons produits et bons vins: des synonymes d’une certaine douceur de vivre.
Néanmoins, les bonnes gens d’Ahuntsic mangent chez eux et ne sortent que le week-end, le plus souvent en ville. Les environs sont fréquemment déserts, surtout le mardi. Bien sûr, les restos de ce quartier n’ont pas de design bruto-industriel ou néo-sixties pour attirer l’argent et la mode – tout comme ses habitants ne sont pas fringués Prada. Même chose en cuisine, où les plats ménagers s’inspirent de la tradition méridionale paysanne plutôt que d’une cuisine sophistiquée (et souvent précieuse).
Dans cet esprit, il est surprenant qu’I Due Amici (plutôt deux frères d’origine moliséenne que deux amis) ait opté pour une cuisine au carrefour de l’ancienne et de la branchée. Ce compromis permet à la clientèle d’échapper aux clichés sans s’interdire les réussites de la cuisine mode. On ne se prive pas de mettre deux fioles sur chaque table: une d’huile d’olive extra-vierge fruitée et délicieuse; et une de vinaigre balsamique (commercial, lui) qui sert à aromatiser les soupes ou les salades. Autre compromis, moins heureux celui-là: la carte se compose d’une section consacrée aux pastas, dont les sauces et les pâtes peuvent être indistinctement combinées – une hérésie qui n’a aucun sens et qui montre que même des fils d’Italiens peuvent commettre des bévues. Le menu compte aussi une sélection de pizzas et de secondi – des plats de viande, surtout des escalopes de veau sautées à différentes sauces et servies avec des pâtes.
Inutile de dire que je me suis contenté de goûter aux pâtes et aux pizzas, assez bonnes dans l’ensemble. Le principal mérite de la carte revient curieusement aux entrées, notamment une assiette de pleurotes grillées à la perfection et aromatisées d’huile et de vinaigre balsamique (décidément, on n’y échappe plus ). Le résultat est aussi saisissant que merveilleux: ces champignons de culture, habituellement fades, sont transfigurés, leur chair fondante et un peu viandeuse est riche et sexy. L’assiette d’antipasti est composée de prosciutto servi un peu trop froid et d’un très bon capicollo, côtoyés par des tranches de poivron rouge bien grillées et nappées de vinaigre balsamique, deux olives et une tomate sans goût aucun coiffée d’un morceau de fromage mozzarella frais, qui montre tout de même un peu de fantaisie. Mais pourquoi ne pas prendre des légumes de saison qui ont du goût – fenouil, rapini, rabioles -, plutôt que des tomates de serre ou importées qui n’ont que de la couleur et goûtent le carton?
Les pastas sont trop cuites (et donc un peu indigestes), et les sauces ne sont pas faites à la minute. Les linguinis au pesto sont noyés dans une sauce que l’on ne devrait retrouver que sur les menus d’été et qui a le goût du réfrigérateur. Les penne all’arrabbiata, mieux réussis, bien tomatés et relevés d’une touche de piment, souffrent malheureusement d’une pointe d’acidité qui pourrait être facilement éliminée. Du côté des douceurs, seule la crème caramel, préparée dans les règles de la bonne cuisine… française, est faite sur place; les tartuffo et autres gelati sont usinés et servis avec leur papier d’emballage.
Il n’y a heureusement aucune prétention dans ce restaurant au décor de banlieue version années soixante-dix. Le service est attentif, et les prix sont plutôt raisonnables pour une carte assez peu originale (et pleine de fautes d’orthographe, tant en italien qu’en français). Les plats de qualité inégale manquent un peu de caractère, mais sont mitonnés avec une certaine sincérité. Comptez 60 $ à deux, taxes, service et un demi de rouge maison (et bon avec ça) compris.
I Due Amici
2291, rue Fleury Est
389-0449
Amuse-gueule
Quelle est donc la règle qui veut que l’on associe telle pâte à telle sauce? Tous les spécialistes sont d’accord, tant les écrivains (dont Valentina Harris qui a écrit l’excellent livre Quelle pasta, Quelle sauce?, aux Éditions Guy St-Jean), tant les cuisiniers professionnels, que Madame Collocia, qui fait ses pastas à la main dans sa petite fabrique de la rue Jean-Talon. Les pâtes ne sont jamais choisies en fonction de leurs formes ou parce qu’elles sont jolies, mais parce qu’elles constituent un véhicule qui «porte» la sauce. S’il reste de la sauce au fond du plat une fois que vous avez fini, c’est que la combinaison n’est pas appropriée. De manière générale, les sauces lisses vont avec les pâtes en ruban (linguini, spaghetti, macaroni, fettucini) et les sauces qui contiennent des morceaux s’allient avec les pâtes grosses et courtes (rigatoni, penne, fusilli).