L’avenue du Mont-Royal, il y a seulement cinq ans, ne comptait aucun lieu de gourmandise digne de ce nom. Dans cette rue populaire, plus précisément dans la portion orientale, on avait l’inquiétante impression de revenir aux années soixante de la restauration. Aujourd’hui, le make-up est radical: le quartier rajeunit à vue d’oeil, et la prospérité se voit autant sur les façades des édifices que dans la tenue des locaux. Ce Plateau-Est attire de plus en plus de gens mais, curieusement, garde encore son cachet de quartier résidentiel, un peu à l’écart du tumulte.
Aucune surprise au fait qu’un resto comme le Fabismo (contraction de Fabien et de Morjane, les noms des patrons belges) s’y soit installé. Car on peut le définir en quelques mots, ce resto: néo-bistro. Convivial comme les vieux zincs, lieu d’habitués, mais aussi un endroit où la cuisine proposée est saisonnière et fondée sur les produits du marché. Les menus affichés sur une grande ardoise proposent donc des plats qui changent au gré de l’humeur des chefs et du garde-manger. Passons sur un décor vaste et encore un peu inhabité – de la fraîcheur et de l’espace pour respirer, mais un choix de couleurs un peu oppressant (noir, cuivre, orangé), et des oeuvres d’un jeune peintre qui a beaucoup (trop) lu sur Picasso -, et commentons cette cuisine traditionnelle qui ne met pas les palais des clients en péril, mais qui ne m’excite pas non plus, bien qu’elle soit exécutée avec soin.Si certains plats de la carte sont du déjà-vu, d’autres font des incursions inhabituelles. Le potage Saint-Germain aux pois cassés – alors là un vrai classique des classiques – est assaisonné avec précision et se déguste jusqu’à la dernière goutte. Ce n’est pas moi qui leur reprocherai de le mettre à la carte, surtout à cette époque de l’année! La salade, toute simple, ferait mieux de s’en tenir aux laitues de saison et de laisser tomber le maïs en boîte, totalement inutile, et les tomates sans goût à la chair encore verte.
En plat, les grillade ont le haut du pavé: le filet mignon, parfaitement saignant, se mange à la cuillère tellement il est moelleux. Il est nappé d’une sauce aux champignons sauvages exécutée avec assurance, qui dénote un bon sens des parfums. L’entrecôte simple face – une spécialité, nous dit-on – est cuite d’un seul côté et garnie de moutarde, d’oignons crus et de persil frais haché. Surprise! L’effet est celui d’un tartare sous une croûte un peu cramée (mais délicieuse), à la texture fondante et craquante, le tout dégageant un très léger goût de carbone et de sang. Un délice. On sert ces plats accompagnés de pommes de terre dauphine, cuites avec beaucoup de beurre; des choux de Bruxelles (naturellement); et un hachis de navets, de tomates et de carottes parfumé au persil. Côté douceurs, seule la crêpe aux pommes nous a intrigués avec sa croûte caramélisée, ses fruits parfaitement beurrés et son goût de miel. Pouf! Elle a disparu sans laisser de traces.
Au-delà d’une cuisine prudente mais très correcte et qui fait du bien, ce bistro a une ambiance sympa et donne envie de revenir. Cela, malgré des desserts un peu en retrait et une maigre carte des vins qui n’offre que cinq rouges, dont un seul cru français (tous facturés à bon prix, toutefois). Comptez donc 70 $ à deux, tout compris – et avec deux verres de vin.
Fabismo
2129, avenue du Mont-Royal Est
522-1666
Stéphane Perraud Chez Alexandre
Stéphane Perraud dirige l’un des bistros parisiens de Guy Savoy (détenteur de deux étoiles Michelin pour son resto éponyme de Paris, propriétaire de huit néo-bistros, et auteur d’un livre extraordinaire sur la cuisine de bistro, publié l’an dernier chez Hachette). Invité à faire découvrir les spécialités du Cap Vernet Chez Alexandre, ce jeune Breton a donc pris congé de ses cuisines parisiennes pour présenter son menu aux Montréalais, mais avec cette différence que pour la moitié de ce qu’on demanderait en France, on peut goûter des plats vraiment exceptionnels.
Sa cuisine simpe est exécutée avec sérieux, servie sans parcimonie et facturée à prix d’ami. La filiation avec son mentor, aussi troublante qu’elle paraisse, ne dissimule pas non plus les influences italiennes qui émaillent ses plats. Les compositions de la carte proposée depuis une semaine Chez Alexandre se rapprochent totalement d’une cuisine inspirée de l’ancien temps, qui raconte la tradition avec le coeur et les meilleurs produits du marché.
Perraud, qui nous fait le coup du terroir revisité, propose ainsi des moules et des champignons en croustade qu’il sert sur de la roquette bien croustillante, mélange admirable entre une laitue poivrée et un appareil moelleux et fort savoureux. Les poissons ont, bien entendu, une belle part dans ce menu: un bar rôti en écailles servi avec une galette de fenouil braisé et des tomates confites évoquent le Sud. Un cabillaud cuit à la vapeur nappé d’une sauce veloutée, faite à partir d’un fond de volaille – excellent amalgame du reste -, et servi avec une endive braisée, prend quant à lui position pour la cuisine du Nord, crémeuse, riche et sécurisante. Le jarret de veau est presque laqué sous une sauce courte et dense faite avec son jus, et le risotto aux champignons qui le côtoie conforte gentiment. Les desserts sont tout aussi spectaculaires. De la rigueur en tous points, quoi. L’essentiel tient en deux mots: on adore! Comptez 70 $ le soir pour deux personnes, avec les taxes et le service, avant le vin; la moitié moins le midi.
Chez Alexandre
1454, rue Peel
288-5105