Autrefois, il était l’âme de l’épicerie Latina. Il nous faisait découvrir des choses sous prétexte que le plaisir justifiait l’expérimentation. Et il y avait en effet beaucoup de bonheur à essayer les biscuits amaretti, les pâtes de marques prestigieuses, certaines viandes et saucissons. Pascuale Ciocca était l’un des derniers véritables épiciers du Plateau, une race vouée à disparaître quand les petits marchés de quartier ont voulu imiter Loblaws. Pascuale nous faisait aimer l’Italie, éternelle protectrice des valeurs culinaires indémodables, inébranlables.
Il vole maintenant de ses propres ailes, sans perdre sa modestie et sa courtoisie, dans cette jolie épicerie de luxe qui se fait aussi bien boucherie que traiteur ou café, et où l’on propose tout ce que l’Italie a de bon et surtout de beau. On trouve, à La Forchetta, des plats à emporter exposés dans de la belle faïence polychrome, de la viande et de la charcuterie fraîche, de l’huile d’olive, du chocolat, du fromage et bien d’autres produits. On peut aussi s’asseoir et prendre un petit café bien serré en attendant que l’on prépare votre commande. Rien ne vous empêche non plus de choisir l’un des plats du jour (entre 5 $ et 8 $) préparés par madame Ciocca, une Portugaise qui a appris la cuisine avec sa belle-mère. Du rôti d’agneau ou du risotto, des assiettes d’antipasti, des gâteaux irrésistibles et très crémeux: tout cela annonce le produit artisanal, la cuisine maison bien faite.
À défaut d’une cuisine de création, monsieur Pascuale propose donc chez lui une cuisine de tradition. Normal, l’Italien en lui lutte contre le marchand. Ses plats, tous réalisés sur place par une équipe qui s’y connaît, présentent une belle palette composée d’antipasti dont le choix étonne par l’originalité et surtout la qualité, ainsi que d’appétissantes salades de fruits de mer, comme les poulpes fondants marinés au jus de citron frais ou les crevettes minuscules, traitées avec délicatesse dans l’huile d’olive et les herbes, entre autres spécialits. Si vous préférez les plats de verdure, la plupart démontrent un ascendant méridional évident par l’usage de la tomate, de l’aubergine, des poivrons farcis et des champignons géants grillés quelques instants avant qu’ils ne prennent le chemin de votre cuisine. Les aubergines, succulentes et moelleuses, sans trace d’amertume, sont recouvertes de sauce tomate et de fromage parmigiano, démontrant que malgré la mode, la cuisine italienne peut encore déborder de saveurs et de sincérité. À La Forchetta, c’est l’Italie dans tous ses états et, à voir l’achalandage, on aura compris que les Outremontais sont ravis, voire enchantés qu’il en soit ainsi. Que ce soit pour faire vite si vous êtes pressé, ou pour prendre le temps si vous l’avez, vous vous en tirerez pour une trentaine de dollars à deux, tout compris si vous prenez l’antipasto et un plat, café et dessert. Pas de vin: pas de permis, malheureusement. Mais ça viendra peut-être?
La Forchetta
234, avenue Laurier Ouest
279-9090
Amuse-gueule
On peut expliquer l’engouement pour tout ce qui est italien en considérant deux choses: le style de vie «nomade urbain» que nous avons adopté et le manque de temps, la seconde raison justifiant la première. Prenez les antipasti, antidotes à la banalité, mais aussi à la mauvaise cuisine. Hommage à la fraîcheur champêtre du jardin, c’est le triomphe de l’émotion sur l’académisme. Les antipasti se mangent avant de commander les plats qui constitueront le repas, comme une sorte de miniature civilisée qui doit ravir l’oeil avant le palais, et qui permet de déployer toute l’étendue de la palette potagère d’une cuisine. Cette habitude antique, dorénavant perdue en Amérique et en France, persiste chez nos cousins italiens, qui la prennent très au sérieux.
Antonio Carluccio, installé depuis plusieurs années en Angleterre et propriétaire de nombre de restos et d’épiceries de luxe, publie une nouvelle série économique et assez merveilleuseintitulée L’Italie Gourmande des Carluccio (Hachette), en quatre volumes. Le tome consacré aux antipasti représente une manière infaillible de s’initier à cet art miniaturiste, grâce à une cinquantaine de recettes rigoureusement authentiques.
Nous parlons beaucoup de mondialisation de la cuisine ces derniers temps, comme si le fait de découvrir de nouvelles denrées était la première des vertus. Considérez ceci: sur les mille deux cents plantes alimentaires que cultivaient et mangeaient nos ancêtres européens, nous n’en faisons plus pousser et n’en mangeons plus, de façon courante, qu’une soixantaine tout au plus!